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drame pour chercher la solution de cette situation insoluble. C’est par là même que les discussions qui l’emplissent nous imposent à nous-mêmes une espèce de torture et nous plongent dans un état voisin de l’affolement. Marianne s’est sauvée de-chez M. de Pogis ; elle n’a pas voulu rentrer chez Guillaume ; elle s’est réfugiée chez ses parens ; elle leur a avoué sa faute. Quel parti prendre ? retourner auprès de Guillaume, chasser jusqu’au souvenir de Max ? Ce serait le parti le plus en accord avec les exigences sociales, et c’est celui que conseille discrètement le père de Marianne, M. Vilard-Duval. Donner son congé à Guillaume, qui, aux yeux d’une bonne catholique, n’a jamais été le mari de Marianne ? C’est le parti extrême auquel ne répugnerait pas l’intransigeance de Mme Vilard-Duval. Pour elle, Marianne n’aperçoit d’issue que dans le suicide. Pourtant Guillaume averti du retour de sa femme accourt auprès d’elle. Il apprend de la bouche même de Marianne l’outrage qu’elle lui a fait. Nature violente, impétueuse, brutale, il voit rouge, et sort pour aller tuer M. de Pogis. La honte, le suicide, le meurtre, voilà les diverses solutions proposées.

Quelle va être celle de l’auteur ? Il imagine que Marianne avec son enfant s’est retirée chez ses parens dans leur château de province. M. de Pogis s’est installé dans une auberge du pays ; il envoie à Marianne lettres sur lettres pour la supplier de le revoir. De son côté Guillaume vient offrir à Marianne son pardon. Les deux hommes se rencontrent : Guillaume précipite M. de Pogis dans un torrent où ils disparaissent tous deux. Cette solution n’a contenté personne.

Il nous reste à voir quels sont les personnages engagés dans cette action. Ce sont personnages de tragédie. La psychologie de l’auteur excelle à montrer de façon impitoyable tout ce qu’il tient dans le cœur de l’homme de pouvoir pour créer du malheur. Il y a d’abord des êtres qui, par définition, sont malfaisans. Max de Pogis en est un. Au dénouement l’auteur lui donne son véritable nom : il l’appelle Don Juan. Celui-ci a de son ancêtre littéraire l’égoïsme, la légèreté et la méchanceté. Il a trompé sa femme par libertinage. Il a épousé sa maîtresse par bravade. Il a dans la suite parfaitement oublié son fils et ne s’en est ressouvenu que le jour où, en le réclamant, il trouvait un moyen de se venger de celle dont il avait fait le malheur. Un autre aurait considéré que Marianne, appelée sous son toit par la maladie de son enfant, devait lui être sacrée : lui, la considère comme une proie. Ce joli homme n’est pas un très joli monsieur. — Mais ce n’est pas seulement par nos vices, c’est aussi bien par nos vertus que nous pouvons semer des ruines autour de nous. C’est le cas de Marianne.