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le domaine scientifique qu’elle ne soit aussitôt mise en œuvre par nos soins, pour être ensuite adoptée dans les autres pays. Tel est l’empire du monde que l’esprit germain réclame !

Ne croirait-on pas lire le chapitre des Assises du XIXe siècle qui est consacré à la réfutation de l’universalisme romain et à la délimitation de l’impérialisme germanique, dont le devoir est de conquérir tout d’abord le monde par la pensée, en attendant qu’il ait trouvé le moyen de l’englober physiquement, sans se gâter à son contact. Lorsque l’Empereur prononçait ces paroles caractéristiques, il avait à son côté le vieux général de Loé, catholique convaincu, auquel il s’adressa directement pour affirmer sa sollicitude à l’égard de ses sujets non-réformés, pour exprimer ses vœux en faveur de l’action parallèle des deux communions chrétiennes, dans l’œuvre morale et patriotique précédemment définie.

L’effort personnel de Guillaume pour rapprocher son peuple de l’Angleterre et des États-Unis, bien que mal couronné jusqu’ici par le succès, parce que les intérêts matériels semblent s’opposer actuellement aux prétendues suggestions du sang, témoigne encore de ses convictions germanistes au sens large du mot. Une récente manifestation de l’Empereur l’a montré, plus encore que son discours d’Aix-la-Chapelle, engagé dans les voies du mysticisme aryaniste. Nous voulons dire sa lettre ouverte à l’amiral de Hollann au sujet des idées religieuses développées devant lui par le professeur Delitzsch, dans la célèbre conférence Babel und Bihel. On a surtout relevé dans cette lettre les avertissemens qu’elle renferme à l’adresse de la science profane, trop prompte à ébranler, sur de vagues conjectures érudites, l’édifice dogmatique traditionnel dont le peuple ne saurait se passer. Mais les familiers de la pensée théologique d’avant-garde, dans l’Allemagne contemporaine, y ont lu tout autre chose : c’est-à-dire une adhésion à peine voilée du Summus episcopus des églises protestantes au christianisme germanique. Comment interpréter autrement la confiance qui y est professée dans la révélation par les grands hommes ; Hammurabi, Moïse, Abraham, Homère, Charlemagne, Luther, Shakspeare, Gœthe, Kant, Guillaume Ier ? A part quelques additions bibliques et familiales, ce sont là les saints des Assises. Italiens et Français se sont étonnés à l’envi de se voir exclus de cette liste toute septentrionale, et il est certain que M. Chamberlain s’était montré plus libéral que