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de son action, nous fournira le contenu véritable du christianisme, c’est-à-dire la présence de Jésus, et nous permettra de renouveler incessamment le bienfait, une première fois goûté, de la communion esthétique avec l’Homme-Dieu. Pour qui sait voir, en effet, toute noble manifestation artistique contribue, de façon plus ou moins apparente, à la révélation de Jésus : c’est non seulement le visage humain, image directe de la divinité, qui possède cette efficacité ; mais ce sont encore tous les êtres de la nature, lorsque, façonnés par le génie, ils nous ouvrent la porte de la révélation instantanée. Nous plaçant en effet face à face avec l’artiste créateur, ils nous apportent le spectacle « de ce monde à la fois transcendant et réel dont le Christ, parle quand il dit que le royaume du ciel est caché dans la vie terrestre comme un trésor dans un champ. » Eclairons par un exemple ces subtiles déductions. Si nous contemplons d’abord, dit M. Chamberlain, l’un des nombreux Christs dessinés par Rembrandt, puis, après un moment de repos, le « paysage avec trois arbres » du même maître, nous reconnaîtrons la parenté intime de ces deux manifestations d’un même pouvoir, par l’émotion religieuse qu’elles nous apporteront avec une égale intensité. En sorte que le christisme et l’esthétisme se confondent si parfaitement dans la religion germanique que, la figure du Christ fournissant la suprême impression de l’art, réciproquement, toute impression d’art évoque la figure du Christ[1].

Telle sera donc cette religion, sublimée jusqu’à la quintessence : christisme avant toutes choses, et christisme artistique de toute nécessité. En ceci du moins, elle est profondément wagnérienne. Et l’on ne peut nier que ce ne soit une assez haute et noble conception du culte de l’idéal ; on concédera même qu’il est difficile de s’élever davantage dans les régions éthérées de la mystique, tout en gardant de souples et spécieux contacts avec le monde actuel des faits ! Toutefois, ces séductions ne doivent pas aveugler les esprits de sang-froid sur les dangers qu’une pareille doctrine partage avec toute conception trop

  1. Voyez p. 952 et suiv. On trouverait un témoignage de la popularité que les idées de M. Chamberlain sont en voie de conquérir dans une récente publication dont le succès rappelle celui des Assises. « Von der Renaissance bis zu Jesus. Bekenntnisse eines modernen Studenten. Stuttgart, Steinkopf. 1903, 3e édit. » Bach et la figure du Christ y jouent le même rôle que dans l’œuvre dont nous achevons en ce moment l’étude.