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métaphysique ! Néanmoins, à côté de ces virtuoses de l’archet, Richard Wagner, qui, nous l’avons dit, ne tient qu’une place très secondaire dans la philosophie des Assises, en occupe en revanche une fort considérable dans leurs suggestions artistico-religieuses. Au cours de la préface de la troisième édition du livre, l’auteur a acquitté sa dette en ces termes à l’égard du grand compositeur : « Je ne voudrais pas vivre, et, certes, je ne pourrais produire si cet homme incomparable n’avait passé dans le monde, éclairant toutes choses autour de lui. Son art est le plus haut et le plus accompli que l’humanité possède, apportant mieux que l’art du passé ce que réclamait Gœthe, une révélation instantanée et vivante de l’Inconnaissable. Quiconque a une fois vraiment éprouvé son action, croit désormais. Et, à mon avis, la personnalité de Wagner est aussi haute que son art : non pas aussi accomplie sans doute, car il était tout humanité : mais son application à un but idéal, son oubli de lui-même[1], sa confiance hardie dans la noblesse foncière de notre nature humaine, l’entière harmonie qu’il sut établir entre son vouloir et son pouvoir, en font une figure à peu près unique dans l’Histoire du monde. Un tel homme agit sur autrui comme une Force de la Nature : il donne la confiance en soi-même, il suscite ce qui sommeillait inconscient dans les profondeurs des âmes ! » Et M. Chamberlain ajoute, en songeant à Nietzsche sans le nommer, que l’ingratitude envers le dieu de Bayreuth ne peut être que folie. Il est donc permis de fixer exactement par ce criterium la date du naufrage des facultés mentales chez l’auteur du « Cas Wagner ; » l’infortuné a perdu l’esprit à l’heure précise où il s’est séparé de son maître. Et ce jugement nous explique pourquoi les Assises paraissent souvent continuer sans lacune la première période nietzschéenne.

Si la musique ne venait à son aide, notre penseur avoue qu’il ne saurait faire comprendre ce qu’est la Religion comme expérience personnelle et actuelle. Il nous engage donc à nous remémorer nos sensations musicales, ainsi que l’impression immédiate, écrasante, inextinguible que le sentiment reçoit d’une musique digne de ce nom, afin d’entrevoir, par ce détour, l’essence de la religion véritable. A cet égard, le théâtre de Bayreuth est donc bien le temple de la foi future, ainsi que l’espérait

  1. Ce dernier compliment nous paraît un peu excessif, appliqué au plus habile metteur en scène de sa propre personne qui fut jamais.