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fortunée où nulle influence délétère du dehors n’avait encore altéré l’originalité de ces âmes si pures. A cet effet, il évoque devant nos yeux le contemporain d’Arminius, ce barbare joyeux, ivre de vie, querelleur, joueur, buveur, pillard, et il nous assure que l’on voyait parfois ce fils insouciant de la Nature tomber soudain dans un recueillement mystérieux. La grande énigme de l’être le captivait tout entier, non pas à la façon d’un problème rationaliste : « D’où vient le monde ? D’où suis-je né ? » mais comme un besoin vital, immédiat et pressant. Il se sentait « uni avec la Nature ; » il écoutait la musique obscure de la vie. Pour mieux rencontrer l’accord qu’il souhaitait avec les choses, il s’essayait lui-même à chanter ; puis il écoutait de nouveau dans le recueillement. Son appel ne demeurait pas sans écho ; les voix de la nature lui répondaient ; alors, il tombait à genoux, en adoration. D’ailleurs, par la vertu de cette effusion, il ne se croyait pas devenu plus savant ; il ne s’imaginait pas avoir découvert l’origine et la destinée du monde ; mais il possédait dès lors l’instinct d’une mission plus haute ; il découvrait en soi le germe d’un destin sans mesure, et la « semence de l’immortalité. » Il demeurait pénétré d’une conviction vivante qui, à la ressemblance de toute vie, engendrait de nouveau la vie. Les héros de sa race lui apparaissaient sous des traits surhumains, et il s’efforçait de leur ressembler[1]. Tel est le schéma le plus précis que nous offrent les Assises pour nous faire pressentir le caractère du culte et de la prière germanique.

Avouons-le, le premier souvenir qui nous fut suggéré par cette profession de foi panthéiste, et par cette effusion poétique, c’est celui du théâtre de Bayreuth ; telle se déroule la mimique du jeune Siegfried sous le grand tilleul dans la forêt enchantée. Le héros écoute la musique obscure de l’orchestre souterrain ; les voix de la Nature lui répondent par le soprano de l’oiseau parleur ; il s’essaye lui-même à moduler sur un roseau ; puis il écoute de nouveau dans le recueillement ; c’est tout le scénario du deuxième acte de la troisième journée, dans la tétralogie.

Toutefois, à y regarder de plus près, d’autres précurseurs ont annoncé la religion germanique et nous avons entendu cette cantilène exécutée par des gosiers plus assouplis que celui de Richard Wagner, librettiste et philosophe. Sans remonter jusqu’aux

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