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en plein jour ; quelquefois, en leur milieu, s’ouvre un puits profond, sans la moindre margelle au bord ; ou bien, à la base d’un mur, c’est un soupirail béant qui donne dans des oubliettes noires. Et partout traînent des loques, des ordures, des chiens crevés que dévorent les mouches.

Je sais qu’elles existent, ces mosquées, qu’il en est même de célèbres ; et l’on dirait vraiment qu’elles nous fuient, ou qu’il y a des ensorcellemens dans leurs entours. Parfois, regardant en l’air, on aperçoit, par quelque trou dans la voûte des rues, un admirable dôme vert et bleu, là tout près, qui monte et brille dans le ciel pur. Alors on se précipite par un couloir d’ombre qui semble y conduire : il est muré, ce couloir ; ou bien il finit en amas de terre éboulée. On revient sur ses pas, on en prend un autre : il vous éloigne et vous égare. On ne retrouve même plus l’échappée d’air libre où vous était apparu ce dôme d’émail, on ne sait plus où l’on est... Ces mosquées, décidément, n’ont pas d’abords, tant elles sont enclavées dans les vieilles maisons en terre battue, dans les taupinières humaines ; on ne doit y arriver que par des détours sournois, connus des seuls initiés. Et cela rappelle ces mauvais rêves où, lorsqu’on veut atteindre un but, les difficultés augmentent à mesure que l’on approche, et les passages se resserrent.

De guerre lasse, nous revenons, sur le soir, au petit café d’hier, que vraisemblablement nous adopterons. Là, au moins, on respire, on sent de l’espace devant soi, et il y a, — un peu en recul, il est vrai, — une mosquée rose qui se laisse regarder. Les gens nous reconnaissent, se hâtent de nous apporter des tabourets, sous les platanes, des kalyans et du thé. Des bergers viennent nous vendre des peaux de ces panthères qui pullulent dans la montagne voisine. Mais l’attroupement pour nous voir est moindre que la première fois : demain ou après-demain, nous n’étonnerons plus personne.

Les remparts de Chiraz forment un côté de cette place ; élégans et délabrés comme toutes les choses persanes : hautes murailles droites, flanquées d’énormes tours rondes, et ornées d’une suite sans fin d’ogives, qui s’y dessinent en creux ; les matériaux qui les composent, terres cuites grises, relevées d’émail jaune et vert, leur donnent encore l’aspect un peu assyrien ; au bout de deux cents mètres, on les voit mourir en un amas de briques éboulées, que sans doute personne ne relèvera jamais.