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de gratitude qui lui sont prodigués, chacun se sent largement récompensé de toutes ses peines !

Mme Pichon, aidée des autres dames françaises, les premiers momens passés, n’oublie pas, même en ces circonstances, ses devoirs de maîtresse de maison et fait l’honneur aux nouveaux venus d’une collation qui prend pour eux les proportions d’un véritable festin. Une tranche de pain, — depuis dix jours la colonne en avait été complètement privée, — du pâté de foie gras, du beurre, de la mortadelle ! Mais, vraiment, ils n’étaient pas encore aussi à plaindre qu’on le craignait, ces revenans qui, à en croire les journaux d’Europe, avaient subi depuis longtemps les pires supplices ! Il restait en effet encore quelques provisions, qu’en ménagères économes, nos héroïnes avaient soigneusement réservées pour les jours d’extrême disette. On avait d’abord mangé le bétail, le riz et le blé qu’on avait pu enfermer en toute hâte, quand les hostilités avaient commencé et n’avaient plus laissé de doute sur les intentions des Chinois ; les mulets, les chevaux avaient suivi ; ces quelques conserves constituaient les dernières cartouches. Une coupe de Champagne fut la dernière surprise offerte aux arrivans. On but à la délivrance des assiégés, à leurs héroïques défenseurs, aux braves qui étaient tombés sous les balles chinoises ; on but à l’armée, à la marine, à la République, à la France, à tout ce qui nous devient si cher à l’étranger, où, loin des dissensions intestines, des querelles de partis, on n’entrevoit la Patrie que dans une auréole de grandeur, de beauté et de gloire !

La colonne, une fois rassemblée, traverse, clairons en tête, tout le quartier des Légations pour y montrer les couleurs françaises et y faire entendre les sonneries aimées de nos marches guerrières. La colonne s’allonge bien un peu, obligée de traverser barricades, tranchées et autres obstacles, témoins indiscutables de la noble lutte qui venait de finir. Et puis, officiers et soldats ne sont-ils pas heureux de serrer les mains qui se tendent vers eux, à leur passage ? La colonne est ensuite arrêtée, les faisceaux sont formés, et les hommes mis au repos en attendant de nouveaux ordres.