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le mouvement. Aussi les fractions désignées furent-elles rapidement prêtes. Sur l’ordre du général, une bonne gratification est donnée au pauvre Chinois capturé qui nous a servi de guide, quelque Boxeur peut-être, que les émotions de la journée et le manque de son opium habituel ont rendu plus mort que vif, et qui est dans l’impossibilité de continuer à marcher.

« En route pour Pékin ! la lune nous éclaire maintenant, et semble, de son sourire moqueur, narguer le désappointement que nous éprouvons, notre général plus encore que nous-mêmes, de ne point être des premiers à apporter, aux assiégés de la Légation de France, des nouvelles de la mère patrie. Il est dix heures et demie quand nous arrivons à 200 mètres de la porte Toung-Pien-Men ; la petite colonne est arrêtée, un moment, et massée, à proximité, derrière un groupe de maisons.

« Deux ponts, à peu de distance l’un de l’autre, très bien balayés par la mitraille (les Russes l’ont appris le matin à leurs dépens), nous séparent de la porte. Un poste français est laissé à l’entrée du premier, pour concourir à la garde du passage et donner en même temps des indications aux troupes françaises qui vont suivre. Quelques minutes après, la colonne s’enfonce, sous une voûte longue, contournée, percée dans l’épaisseur de la muraille : c’est Toung-Pien-Men ; un poste russe y est installé. Le brave général Wassilewsky, chef d’état-major des troupes russes, la poitrine traversée par une balle, râle sur une civière, dans une sorte de corps de garde ; à ses côtés, une rangée d’officiers et de soldats russes, blessés, sont encore étendus sur de la paille, le long des murs ; de nombreux cadavres d’officiers et de soldats tués ont été en outre réunis à proximité et gisent là, recouverts de leurs manteaux en guise de suaires. Le général s’arrête un moment pour s’informer de l’état des blessés, et, en particulier, de celui du général, avec lequel il entretenait les relations les plus sympathiques.

« Pendant ce temps, la petite colonne, prévenue d’avoir à effectuer la traversée de ce passage en évitant de troubler le repos de nos frères d’armes blessés, s’écoule sans bruit, sous la voûte, et s’engage dans la Cité chinoise. Des troupes alliées ont pénétré dans Pékin, mais la majeure partie des hautes murailles de la Cité tartare est encore occupée par des Chinois. Guidés par MM. de Grancey et d’Anthouard, qui connaissent très bien la capitale, nous suivons une rue de la ville dont les constructions