Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’en bas, des bords du golfe Persique, de la région torride située au niveau normal de la Terre.

Cette première matinée se passe pour moi en vaines conférences avec des tcharvadars, des muletiers, des loueurs de chevaux, dans l’espoir d’organiser déjà le départ, car il faut s’y prendre plusieurs jours à l’avance, et les voyageurs ici sont parfois indéfiniment retardés. Mais rien ne se conclut, et même rien d’acceptable ne m’est offert. Le proverbe semble se vérifier : il est plus facile d’entrer à Chiraz que d’en sortir.

L’après-midi, je vais rendre au prévôt des marchands sa visite. Il demeure dans mon quartier, et, pour se rendre chez lui, tout le temps on est dans l’ombre et la tristesse de ces grands murs penchés, qui le plus souvent se rejoignent en voûte. Une vieille porte de prison, que masque un écran intérieur en maçonnerie croulante : c’est chez lui. Ensuite un petit jardin plein de roses, avec des allées droites à la mode d’autrefois, un bassin, un jet d’eau ; et la maison s’ouvre au fond, très ancienne et très orientale.

Le salon d’Hadji-Abbas : plafond en arabesques bleu et or, avec des branches de roses aux nuances effacées par les ans ; murs extrêmement travaillés, divisés en petites facettes, creusés en petites grottes avec des retombées de stalactites, tout cela devenu d’une couleur de vieil ivoire, que rehaussent des filets d’or terni ; par terre, des coussins et d’épais tapis merveilleux. Et les fenêtres découpées donnent sur les roses du jardin très caché et sans vue, où le jet d’eau mène son bruit tranquille.

Il y a deux tabourets au milieu du salon, un pour Hadji-Abbas, qui depuis hier a teint sa barbe blanche en rouge ardent ; l’autre pour moi. Les fils de mon hôte, des voisins, des notables, tous gens en longue robe et haut bonnet noir comme en portaient les magiciens, arrivent successivement, très silencieux, et forment cercle le long des jolies murailles fanées, en s’asseyant sur les tapis ; les serviteurs apportent du thé, dans de très anciennes petites tasses de Chine, et puis des sorbets à la neige de montagne, et enfin les inévitables kalyans, où tous nous devons fumer à la ronde. On m’interroge sur Stamboul, où l’on sait que j’ai habité. Ensuite, sur l’Europe, et, tour à tour, la naïveté ou la profondeur imprévue des questions me donne plus que jamais à entendre combien ces gens-là sont loin de nous. La conversation, à la fin, dévie vers la politique et les dernières menées anglaises autour de Koueit : — « S’il faut, disent-ils, que