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Le général Frey recommandait, d’autre part, aux commandans des détachemens français en route, qui ne pourraient pas le rejoindre, au plus tard le 15 août au matin, sous les murs de Pékin, pour entrer avec lui dans la capitale chinoise, de régler désormais leur marche de manière à ne point fatiguer les hommes et à ne lui amener ainsi, à Pékin, que des troupes fraîches, immédiatement disponibles pour les opérations qui pouvaient devenir nécessaires. Cette prescription, dans la réalité, s’appliquait particulièrement aux bataillons venus de France, car, n’ayant reçu aucune communication de l’arrière, il comptait jusqu’au dernier moment, avant d’entrer à Pékin, sur l’arrivée de tous les détachemens qui avaient reçu l’ordre de rallier, à marches forcées, en doublant les étapes, la tête de la colonne et qui, pour faciliter ces marches, trouvaient des vivres et leur cantonnement préparé dans les différens gîtes d’étapes. Mais, par suite de retards, — provenant de causes diverses, — apportés à la mise en route ou à la conduite des détachemens qui quittèrent Tien-Tsin ou Yang-Tsoun après son départ, les seules troupes placées directement sous ses ordres arrivèrent devant Pékin en temps utile pour prendre part à l’opération[1].

  1. Tous les élémens mis en route, de Tien-Tsin, avant le 10, et de Yang-Tsoun, avant les 8 et 9 août, y compris la compagnie Jagniatkowski, qui partit de Tien-Tsin, le 9 au matin, se trouvaient, ainsi qu’il a été déjà dit, le 14, à sept heures du matin, sous les murs de Pékin. La marche des autres détachemens fut la suivante :
    11 août, à 6 heures du soir, départ, de Yang-Tsoun, d’un détachement (lieutenans Pol et Timonier) à l’effectif de 80 hommes, qui n’a pas été mis en route, le matin même, pour lui permettre d’emmener avec lui une section (sous-lieutenant Martin), à l’effectif de 27 hommes, arrivée à Yang-Tsoun dans la matinée. Le 12 août, arrivée à Ho-Si-Vou ; et, le 13 au soir, à Matou, du même détachement, qui y séjourne pour attendre du matériel d’artillerie qui remontait le Peï-Ho par jonques. Arrivée, le 18 août, à Pékin, de ce détachement complété à 100 hommes, avec le commandant Brénot qui avait dû, le 12, pour cause de maladie, quitter le commandement de son groupe, et gagner Tong-Tchéou par jonque.
    10 août, dans la matinée, arrivée, à Tien-Tsin, du détachement Vincent. Départ, le soir, pour Yang-Tsoun. Le 12, seulement, à 6 heures du soir, arrivée, à Yang-Tsoun, de ce détachement. Départ de cette localité, le 13 août, au soir, sous les ordres du colonel de Pélacot. Arrivée, à Ho-Si-Vou, le 14 au matin. Le commandant du détachement, se rendant compte, à ce point, qu’il ne pourra pas rallier le général Frey, dans la matinée du 13, sous les murs de Pékin, ralentit sa marche et atteint Tong-Tchéou, le 17, et Pékin, le 20 août.
    Quelques enseignemens sont à tirer de l’examen des faits qui précèdent : 1° Pour pouvoir obtenir d’une troupe un effort exceptionnel, qu’il s’agisse de grandes comme de petites unités, il faut, (chez le chef, une foi entière dans le succès : ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra communiquer les mêmes sentimens à ses subordonnés et réciproquement obtenir d’eux le concours le plus absolu.
    2° En Europe, de petits détachemens et, parfois aussi, d’assez grandes unités obtiennent, dans l’exécution de marches d’épreuves ou d’entraînement, des résultats surprenans. Lorsque ces mêmes élémens se trouvent, dans une campagne hors d’Europe, en présence de difficultés provenant surtout de l’inclémence du climat, les résultats sur lesquels il est permis de compter sont tout différens, quelque bonne volonté, d’ailleurs, que le soldat apporte à satisfaire ses chefs. Ainsi, les distances qu’il s’agissait de franchir, dans ces marches forcées, n’étaient, entre Tien-Tsin et Pékin, que de 130 kilomètres, et que d’environ 100 kilomètres, entre Yang-Tsoun et la capitale. On sait avec quelles difficultés ces distances ont été couvertes par les différens contingens alliés.
    L’exécution des marches de cette nature ne peut guère être obtenue, dans nos colonies, qu’au moyen de troupes indigènes encadrées par des officiers et par des sous-officiers européens montés. Nos annales coloniales abondent en prouesses accomplies par des colonnes ainsi constituées. Nous citerons, entre autres exemples, parce qu’elle présente quelque analogie avec le cas qui nous occupe, la marche forcée de la colonne française qui opéra, en 1885, sur la rive gauche du Haut-Niger, contre l’armée de Samory et qui, pour atteindre cette armée, puis dans la poursuite de cette dernière, parcourut près de 200 kilomètres en quatre jours, dans une région très difficile.