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de ces Boxeurs qui, dans une explosion de fanatisme, se sont levés, sur différens points de la Chine, résolus à mettre un terme à l’invasion commerciale, industrielle et politique des Occidentaux, et à les chasser du territoire national. Ce sont eux qui, une fois armés et organisés en grandes bandes, ont, sous le couvert de ce sentiment de patriotisme, entretenu l’agitation dans ces populations, pour la plus grande part pacifiques, dociles, résignées, y ont jeté la terreur et perpétué un désordre dont ils tiraient le plus grand profit. Déjà, sur la fin de l’exode des habitans de Tong-Tchéou, l’on signalait des types sinistres, misérables vêtus de haillons, marchant par petits groupes, affairés, multipliant les allées et venues et s’éloignant, chargés de butin, dans des directions opposées au reste de la foule. Dès que, sur certains indices, et sur la dénonciation prudente de quelques indigènes, leur manège fut éventé, ils disparurent dans la ville. Ils commencèrent par y dévaliser les maisons abandonnées ; bientôt, ils porteront le feu dans celles qui sont encore occupées, pour en chasser les habitans et exercer leur industrie à la faveur des incendies, n’hésitant pas à livrer ainsi à la flamme des quartiers entiers de la ville. On les a vus, quelques jours après le départ de la colonne pour Pékin, promener, chaque nuit, la torche dans les rues de Tong-Tchéou puis, quand le quartier nord fut tout entier saccagé, continuer leurs exploits d’incendiaires dans le faubourg et jusque dans les environs mêmes du poste, qu’ils ont, à diverses reprises, tenté de livrer aux flammes.

Ces scènes de brigandage et de dévastation se renouvelleront à Pékin et sur tous les points du Pé-tchi-li où, à l’approche des colonnes alliées, l’autorité indigène sera désorganisée ou en fuite et où ces élémens de désordre pourront alors donner un libre cours à leurs pires instincts[1].

  1. Dans une entrevue que le général Frey eut, à Tien-Tsin, au mois de septembre 1900, chez le général Linéwitch, avec Li-Hung-Chang, ce haut mandarin se lamentait sur les irréparables malheurs qui s’étaient abattus sur son pays, et déplorait la perte des richesses de toute nature renfermées dans les nombreux établissemens de la capitale chinoise.
    Le général Linéwitch ne lui cacha point que la plus grande partie des déprédations qui avaient été commises à Pékin, et que l’on ne manquerait point d’imputer aux troupes internationales, était le fait de ses compatriotes, Boxers ou autres, qui, maîtres de la capitale, s’étaient livrés, sur tous les points, à un pillage effréné. Les deux généraux lui donnèrent l’assurance, qu’en ce qui les concernait, ils avaient fait tous leurs efforts pour s’opposer aux exactions de tout ordre qui sont fatalement la conséquence de toute prise d’assaut d’une ville. Le noble exemple donné par ce vénérable vieillard, âgé de près de quatre-vingts ans, qui, comblé d’honneurs et de richesses, n’aspirant qu’au repos et usé, malade au point de ne pouvoir marcher que soutenu par deux de ses serviteurs, n’hésita point à braver les fatigues et les dangers de toutes sortes qui l’attendaient, et à dépenser ce qui lui restait d’intelligence, d’énergie et de vie pour chercher à arracher son pays aux calamités dont il était accablé, est le meilleur témoignage que l’esprit de patriotisme et de sacrifice ne constitue point l’apanage exclusif des races occidentales.