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analogues les droits absolus de la Hongrie, droits qui étaient supérieurs à ceux de la Couronne puisque ceux-ci en dérivent. Sur cette question de principe, le chef du gouvernement et le chef du parti de l’indépendance se sont montrés d’accord ; mais ils l’ont été aussi pour avouer que la question du commandement militaire et de la langue dans laquelle il serait exercé ne pouvait pas, en ce moment, être traitée avec utilité. On s’est arrêté à cette cote mal taillée, qui laisse l’avenir incertain et le présent à peine assuré.

Tout le monde en Hongrie a le sentiment que la trêve est provisoire et que la bataille recommencera bientôt. Il en est malheureusement de même en Autriche. C’est tout au plus un répit qui est accordé aux deux gouvernemens. Ils s’empresseront d’en profiter pour régler un certain nombre de difficultés pendantes, dont les unes intéressent la politique intérieure et se rattachent à la question du compromis et à celle du contingent militaire, et dont les autres intéressent la politique extérieure et se rapportent à la délicate et laborieuse négociation des traités de commerce. Les gouvernemens autrichien et hongrois sont toujours entre deux crises : dans l’intervalle, ils expédient quelques affaires. Mais ils ont le sentiment que l’organisation dualiste se détraque de plus en plus. Une crise comme celle-ci accélère singulièrement la désorganisation : en y habituant les esprits, elle les y dispose. M. Kossuth a reconnu que l’obstruction était une arme révolutionnaire, et qu’on ne pouvait pas toujours vivre en révolution ; mais, lorsqu’on y vit souvent, et qu’on y revient sans cesse, on finit par en prendre le pli et le mal passe à l’état chronique. Alors les imaginations s’émeuvent et cherchent ailleurs un remède. L’attitude de la Hongrie devient de plus en plus insupportable à l’Autriche. Elle se demande si elle n’a pas plus à perdre qu’à gagner au maintien du dualisme sous la forme combative, tumultueuse et, finalement, séparatiste, que les Hongrois lui ont donnée : car c’est à la séparation qu’on marche. M. de Beust, qui avait été, du côté autrichien, l’auteur du compromis, avait coutume de dire que, quand les choses allaient bien, tout le monde revendiquait l’honneur de cette conception politique, mais que, quand elles allaient mal, tout le monde en rejetait sur lui la responsabilité. On ne la lui disputerait donc pas aujourd’hui, s’il vivait encore, et il accueillerait le reproche avec le scepticisme désabusé dont il faisait volontiers profession. Il dirait peut-être que c’est déjà beaucoup d’avoir fait durer le dualisme trente-six ans, et que le moment est venu de faire autre chose. Mais quoi ? Il n’y a pas actuellement en Hongrie un homme de la portée d’esprit de Deàk, ni en