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président du Conseil des ministres autrichien, n’avait pas cru pourvoir se désintéresser absolument de ce qui se passait en Hongrie. Tout autre sans doute aurait fait de même à sa place. Faut-il répéter que le dualisme a pour objet de mettre certaines choses en commun dans la vie politique de l’Autriche et de la Hongrie ; que la Couronne a des droits propres qui se rattachent à cette communauté d’intérêts ; et qu’il y a là des engagemens réciproques auxquels une des parties ne peut pas porter atteinte sans que l’autre en éprouve des préoccupations légitimes et ne soit conduite à en dire son avis ? M. de Kœrber a donné le sien : il l’a fait avec beaucoup de réserve et de discrétion, mais enfin il l’a fait, et, en défendant les prérogatives de la Couronne, U a été amené à parler de ces droits respectifs des peuples et des rois qui, suivant le cardinal de Retz, ne s’accordent jamais si bien que dans le silence. Ses paroles sont tombées à Pesth comme de l’huile sur le feu ; l’incendie s’est mis à flamber de plus belle. La colère et l’indignation ont été portées à leur comble. C’est alors que M. Tisza, appelé à s’expliquer sur le discours de son collègue autrichien, a affirmé la pleine indépendance de la Hongrie à l’égard de toutes ses institutions, et a qualifié l’opinion de M. de Kœrber en disant qu’elle n’avait d’autre valeur que celle d’ « un étranger distingué. » Le mot d’ « étranger » appliqué à un ministre autrichien devait produire et a produit à Vienne l’impression la plus pénible ; mais il a eu un très grand succès en Hongrie. Les applaudissemens qui l’ont accueilli ont longtemps ébranlé les voûtes du parlement et retenti dans le pays tout entier, oh il a provoqué une explosion d’enthousiasme. L’accalmie parlementaire ne s’est pourtant pas produite tout de suite, et si le discours nationaliste de M. Tisza l’a préparée, il n’a pas suffi à la faire naître. Le parti de l’indépendance n’était pas encore satisfait. Il constatait, non sans raison, que sa principale revendication n’avait pas été agréée par la Couronne, et qu’on n’avait rien obtenu en ce qui concerne le commandement militaire. Il y a eu des conciliabules successifs, au cours desquels M. Kossuth a donné pour la seconde ou troisième fois sa démission. Évidemment M. Kossuth a de l’influence sur son parti, mais il n’en est pas le maître et n’en est que le chef intermittent. Il a fini toutefois par faire prévaloir son opinion, qui était conciliante et modérée, et un jour, au milieu d’une séance, M. Tisza a cru reconnaître que M. Kossuth faisait le geste de lui tendre un rameau d’olivier. Il ne se trompait pas. Les deux hommes politiques ont alors arrêté entre eux le scénario d’une manifestation où ils devaient prendre successivement la parole pour affirmer dans des termes