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d’obstination. Il a montré que le temps ne lui coûtait rien lorsqu’il s’agissait de défendre et de faire prévaloir un intérêt qu’il considérait comme supérieur. La crise s’est prolongée pendant de longs mois sans qu’il ait paru y prendre garde. Il a interrompu à plusieurs reprises ses pourparlers avec des hommes politiques hongrois pour recevoir des souverains étrangers ou assister à des manœuvres militaires, et, à la fin de ces manœuvres, il a prononcé à Ghlopy, un ordre du jour qui témoignait de sa part d’une volonté inébranlable. Cet ordre du jour ayant été considéré en Hongrie comme une provocation, les ministres de François-Joseph l’ont expliqué de manière à lui enlever ce caractère, mais sans en rien retirer au fond. Les négociations ont continué. Nous n’en avons pas rendu compte au fur et à mesure qu’elles avaient lieu, parce que nous nous y serions perdu, et nous n’essaierons pas, même aujourd’hui, de les résumer, parce que nous ne nous y retrouverions pas. Il faudrait rendre compte de toutes les transformations qui se sont produites dans les divers partis, ou plutôt de la décomposition de tous ces partis sous le souffle véhément qui les emportait dans un tourbillon quasi révolutionnaire. Il y a eu là un spectacle voisin de l’anarchie. L’occupation principale des hommes politiques, chefs ou sous-chefs de groupes, paraissait être de donner leur démission de quelque chose : toutes ces démissions ont été depuis heureusement retirées. Mais, certes, l’Europe attentive a eu là un singulier spectacle de désordre intellectuel et moral. Tout à une fin. La fatigue générale, et sans doute le sentiment du danger qui allait sans cesse en s’aggravant, ont amené un commencement de détente. Alors l’empereur-roi a jugé l’heure venue d’user de sa prérogative constitutionnelle, et, après les tâtonnemens d’usage, il a chargé le comte Étienne Tisza de former un ministère. C’est aussi à lui qu’il avait songé dès le début de la crise : il semble qu’on ait tourné pendant sept ou huit mois dans le même cercle pour revenir au point de départ. La différence est que personne, à l’origine, ne voulait de M. Tisza, et qu’il est apparu à la fin comme le deus ex machina auquel on s’est rallié de guerre lasse, dans l’impossibilité de trouver mieux.

M. le comte Étienne Tisza, qu’on dit être un homme d’une volonté ferme et tenace, pour ce motif même, effrayait un peu tout le monde. Mais soit calcul de sa part, soit entraînement spontané dans le sens des passions nationales, il a prononcé, en prenant possession du pouvoir, des paroles qui lui ont gagné les cœurs, et ont amené les partis à désarmer provisoirement devant lui. M. de Kœrber, le