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monopole d’État, contre la doctrine d’État, contre le dogme d’État, et qu’est-ce donc que la liberté, selon M. Clemenceau, sinon le monopole, la doctrine, le dogme de la liberté de M. Clemenceau ?

Tout jacobin a dans la tête un théologien qui s’ignore ; et, plus que de tout autre, cela est vrai de M. Clemenceau, dont on a pu dire qu’il était une sorte de « démologien. » Sint ut sum, aut non sint, voilà son point de départ ; de là découle son discours tout entier : et la seconde partie en serait inexplicable, s’il fallait expliquer autrement la première. On a voulu y voir de l’inconséquence et même de l’incohérence, une contradiction manifeste et choquante. Il n’y en a point ; au contraire, c’est la conséquence poussée à l’extrême d’une affirmation posée d’abord en axiome, et qui est fausse. C’est un développement continu fait à merveille pour vider une vérité de tout ce qu’on en peut exprimer, et qui n’est faible qu’en ceci, que cette vérité n’est pas la vérité ; dans l’espèce, que la liberté selon M. Clemenceau est la négation même de la liberté. Mais les deux parties se tiennent, s’appellent, se commandent, se complètent, et, en ce sens, ce discours, lui aussi, est un bloc. La composition n’en est lâchée qu’en apparence et comme en surface ; par-dessous, l’idée une fait trame ; elle relie et recoud les « morceaux, » parfois de qualité rare, qui ont l’air de n’être que juxtaposés et de venir un peu au hasard de l’improvisation. Si M. Clemenceau est à l’ordinaire confus, embrouillé, presque entortillé quand il s’abandonne à ses aspirations ambitieuses et le plus souvent médiocrement heureuses vers la pensée et la forme philosophiques, il est supérieur, il est un maître dans l’invective. Sur ce terrain, et à cette arme, il a le coup droit, sans riposte, mortel. Alors c’est bien « l’orateur redoutable » dont a parlé M. Thézard, et M. Lintilhac lui-même ne pèse pas lourd en ses terribles mains. On l’a mieux vu encore lorsque, après le rejet de l’article 2 du projet de la commission, — l’autorisation préalable, — et le retrait de l’amendement de M. Alfred Girard, — la déclaration de la part de quiconque veut ouvrir un établissement privé d’enseignement secondaire « qu’il n’a point prononcé de vœux d’obéissance ou de célibat, » — on a abordé l’amendement Delpech, — supprimant, à propos de la même déclaration, les deux mots : « non autorisée, » et par conséquent étendant l’interdiction d’enseigner à toutes les congrégations, qu’elles fussent du reste autorisées ou non.

Comme le gouvernement, par la bouche de M. Combes, se ralliait à cet amendement, — à quoi ne se serait-il pas rallié pour se raccrocher ? — M. Waldeck-Rousseau est sorti de l’impassibilité olympienne