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Et c’est la féodalité moderne, la féodalité parlementaire et électorale, une fidélité. Mais, dans la féodalité, la fidélité se paie. Nous payons. Pour payer, il faut des places. Il n’y en a plus ? Qu’on en crée. Il n’y a pas d’argent ? Qu’on en trouve. Il n’y en a pas ? Qu’on chasse des fonctions publiques ceux qui les détiennent, et qui sont « nos adversaires, » puisque ce n’est ni « nous, » ni nos amis. Ils sont suspects : s’ils ne combattent pas la République « ouvertement, » ils la combattent « sournoisement. » Espionnons-les, dénonçons-les, révoquons-les. C’est encore de Frasne (Doubs) que nous vient la lumière.

« Le gouvernement du 16 Mai, dit un M. Magnin qui n’est pas, je suppose, l’ancien gouverneur de la Banque de France, le 16 Mai n’a pas hésité à révoquer les fonctionnaires républicains : le gouvernement du 16 Mai a bien fait. Que la République en fasse autant ! » (Vifs applaudissemens.)


Et M. Beauquier, député de Besançon :


Pour résoudre le problème (quel problème ? celui de nourrir la foule des cliens affamés avec les cinq pains et les deux poissons d’un chapitre du budget ? ) il faut procéder comme a fait la Révolution française. (A la bonne heure ! n’allons pas chercher le 16 Mai.) Elle chargeait les représentans du peuple de parcourir les départemens, de faire appel aux comités républicains, et, après enquête sérieuse, de révoquer tous les suspects. À ce propos, je citerai un document d’après lequel Vernerey, conventionnel du Doubs, envoyé en mission dans la Creuse et dans l’Allier, avait envoyé à la Convention nationale un rapport où il annonçait qu’il avait destitué un certain nombre de fonctionnaires qui combattaient ouvertement ou sournoisement la République. La Convention avait ratifié purement et simplement cette épuration. Pourquoi ne procéderait-on pas de cette sorte, lorsque partout existeront des comités radicaux comme celui de Frasne[1] ?


Nous y voilà, selon le Congrès de Marseille : douze cents comités, tels les Jacobins en 1793. Epurons sans trêve et sans fin, ne fût-ce que pour ne pas être épurés, car il dit vrai, le vers passé en proverbe :


Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure.


Nous imiterons ainsi les glorieux ancêtres dont l’âme transparaît déjà toute dans ce verbe admirable : épurer. C’est la plus belle tartuferie politique, la comédie de vertu la mieux réussie

  1. La Liberté du 8 août.