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système usité et même usé depuis cinquante ans, celui qui consiste à mêler le rire aux larmes et la comédie au drame. Non seulement nous nous acheminons, par une route toute fleurie de boutades et de mots vers la voie étroite de la tragédie bourgeoise, mais, pour nous divertir, on a eu soin de mêler à l’action des personnages de pure bouffonnerie : tels cet imbécile de Bréautin et Limeray, le joyeux escroc, et surtout ce Chantraine, l’homme aux coups de revolver, le mari prédestiné au genre de mésaventures que nos pères désignaient d’un mot cru, et qui s’est installé, comme un personnage représentatif, dans cette situation particulière dont il est devenu le philosophe. A chaque instant, le dialogue s’échappe en d’amusantes fantaisies ; cela met l’ennui en déroute, mais détruit aussi bien toute impression forte.

Il reste que les auteurs de l’Adversaire ont mis dans leur pièce beaucoup d’agrément et c’est tout ce qu’on était en droit de leur demander. Ils ont su avec une dextérité remarquable esquiver toutes les difficultés, se tenir toujours à la surface, doser dans de savantes proportions la gaieté et l’émotion. Le dialogue est aisé et presque toujours de bon ton ; grand mérite, à une époque où l’on confond si souvent la grossièreté avec la hardiesse. Il y court une ironie légère ; et, par horreur de la déclamation, on y affecte la simplicité. Les personnages, par leur inconsistance même et leur inconscience, ont bien un air d’aujourd’hui. Les héros du théâtre de Dumas, qui avaient la réplique cinglante, nous paraissent très démodés ; ceux du théâtre de M. Capus ont, avec une apparence de détachement et un parti pris de blague, un contentement d’eux-mêmes, une suffisance et une fatuité qui, quelque jour, les feront paraître insupportables ; mais c’est actuellement le genre qui plaît. Nous passons en leur compagnie une soirée des plus agréables, quitte à n’y plus penser sitôt les lustres éteints. L’Adversaire est une jolie comédie, dont il faudrait être de méchante humeur pour méconnaître les grâces. Si toutefois nous lui refusons une certaine sorte d’éloges, c’est qu’il faut bien les réserver pour les auteurs qui, se faisant du métier dramatique une autre conception que celle dont se sont contentés MM. Capus et Arène, essaieraient d’apporter au théâtre une forme de quelque nouveauté, de mettre dans une œuvre un peu de pensée, d’observation de la vie, de connaissance de la nature humaine, d’inquiétude morale, d’y dire leur mot sur la société de leur temps, de faire appel à la réflexion et de proposer, vaille que vaille, à l’un des problèmes du cœur une solution qui compte.