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On a constaté déjà combien sont rares et vagues les informations en ce qui touche les longues années que les dames de Bellegarde avaient encore à vivre. Au moment où Adèle venait de perdre l’occasion de reprendre sa place au foyer familial, ses amours avec Garat n’étaient plus pour elle qu’un souvenir. A-t-elle alors essayé de mettre un nouvel intérêt dans sa vie ? Elle n’avait que trente-huit ans. On se fait difficilement à l’idée qu’à cet âge, et toujours belle, elle ait désarmé, renoncé à plaire et que, son fils aidant, elle ait trouvé dans la maternité un refuge et le repos. On doit cependant l’espérer pour elle. Ce que nous en avons dit plus haut tend à démontrer qu’à dater de ce jour, elle ne voulut plus être que mère.

Sa sœur, du reste, n’avait cessé de l’envelopper des témoignages de sa tendresse, — sacrifiée volontaire qui, en dehors d’elle et de son neveu devenu son fils d’adoption, ne voyait rien, ne souhaitait rien, ne s’intéressait à rien. Peut-être, ce dévouement incessant, si doux au cœur d’Adèle, et les sourires de l’enfant qui grandissait sous ses yeux, ont-ils contribué à lui rendre faciles les immolations définitives, et à la jeter dans la piété qu’on voit fleurir en elle, au fur et à mesure qu’elle approchait de la vieillesse. Au mois de décembre 1826, étant à Chenoise, en pleine santé de corps et d’esprit, elle écrit le testament auquel il a été fait allusion dans les premières pages de ce récit et qui n’est qu’un hommage au dévouement de sa sœur. Elle y prélude en ces termes : « Au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, ainsi soit-il. Mon Dieu, ayez pitié de moi, sauvez-moi, obtenez-moi ma grâce auprès de votre Père ; donnez-moi votre paix. » Et pour finir : « Notre grand’mère est morte subitement d’un anévrisme, notre bien-aimé père aussi : je crois que je mourrai de même. Je désire qu’on m’enterre à Chenoise dans le cimetière, auprès du figuier, contre la chapelle, sans frais ; qu’on donne cent francs aux pauvres. Aurore fera mettre une pierre. On gravera dessus : « Ici repose Adèle. Priez pour celle qui vous aimait. » Plus heureuse que son amie Aimée de Coigny, qui expira sans avoir recouvré la foi de ses jeunes années, Adélaïde-Victoire de Bellegarde avait trouvé dans la résignation le repentir, et le repentir l’avait ramenée à Dieu.

Elle mourut, en le priant, le 7 janvier 1830, dans l’appartement que son fils occupait à Paris, quai Voltaire. Comme elle venait de rendre l’âme, arriva la nouvelle du décès de son mari,