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Comité arrête que les nommées Bellegarde, ex-nobles, dont le mari de l’une est émigré et porto les armes contre la République au service du tyran sarde, seront saisies par le citoyen Pérès, porteur du présent, autorisé pour cet effet à faire toutes réquisitions civiles et militaires. Examen sera fait de leurs papiers et extraction de ceux trouvés suspects, qui seront apportés au Comité ; perquisitions seront faites, les scellés apposés, procès-verbal dressé et les susnommées et tous autres chez elles trouvés suspects, conduits dans des maisons d’arrêt pour y rester détenus par mesure de sûreté générale. »

Sur leur détention, à laquelle mit fin la journée du 9 thermidor, nous ne pourrions rien dire, si la duchesse de Fleury, qui les connut à ce moment dans la prison où elle était elle-même enfermée, ne nous apprenait, par quelques lignes de ses Mémoires, « qu’elles ont été traitées avec douceur et que c’est même là qu’elles ont contracté des liaisons de société. » Alors qu’on sait combien de femmes nobles, qui furent aussi de nobles femmes, étaient à cette époque enfermées dans les antichambres de la mort, ce que ce renseignement permet de se figurer ne fait qu’en rendre plus regrettable la concision. Il faut cependant s’en contenter on ce qui touche la captivité des dames de Bellegarde, il nous a été impossible d’en recueillir d’autres.


V

Les grandes épreuves, a-t-on dit, sont propices aux réflexions salutaires et disposent au repentir. Il arrive souvent, en effet, que le malheur, en traversant des existences qui se sont déroulées en dehors du devoir, les y ramène et les y fixe à jamais. On pourrait donc croire que la comtesse de Bellegarde, frappée dans son cœur par la mort de son amant, dans sa sécurité par son arrestation, dans sa tendresse fraternelle par l’arrestation de sa sœur, eût dû sortir de sa prison, après avoir subi tant d’angoisses, avec le désir de se réunir à son mari et à ses enfans. Il n’en fut rien. Soit que la douleur eût glissé sur cette âme mobile ; soit qu’on dépit de ce qu’offraient de tragique et de menaçant pour elle-même les spectacles auxquels elle assistait, elle eût acquis la conviction qu’elle échapperait aux dangers ; soit enfin que les relations contractées avec des vivans durant sa captivité eussent suffi pour la distraire et pour lui faire oublier les morts ;