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la Reine et de lui indiquer le seul moyen possible peut-être de la sauver. »

Cette supplique de Polignac reste sans réponse. Trois semaines plus tard, Mercy reçoit une nouvelle lettre de son correspondant inconnu : « Quoique je désespère du salut de la Reine, y est-il dit, et que je croie à sa mort certaine, plus cru moins retardée, je n’ai pas été plus effrayé par le décret qui fixe l’époque de son procès que je ne l’étais auparavant… Au reste, j’ai fait sur tout cela deux réflexions bien cruelles ; la première, c’est qu’on n’a rien fait pour la Reine ; la seconde, c’est qu’il est impossible de donner aucun conseil, parce que la chose la mieux imaginée en apparence pour la sauver serait peut-être celle qui la perdrait et cette effrayante responsabilité excède le courage du zèle le plus pur. Ainsi, par exemple, la marche sur Paris paraissait capable de produire un bon effet et peut-être n’aurait-elle excité que plus de rage, à moins qu’il n’eût été question d’une marche rapide de quelques jours. Il aurait mieux valu tenter quelque négociation.

« M. Ribes[1] n’a aucune nouvelle des divers moyens qu’il a pris ; il n’a même aucune réponse, et aucun des hommes envoyés n’est revenu. On pourrait, ce me semble, envoyer un officier français prisonnier et lui donner une espèce de mission sans conséquence, telle que de le charger d’une lettre à Danton et de vingt passeports en blanc pour assurer le passage en Amérique de vingt de ses amis s’ils sauvaient la Reine. Le prisonnier se disant échappé arriverait. Il supposerait qu’il a besoin de rendre compte de ce qu’il a vu, et peut-être que Danton ferait alors des ouvertures d’un autre genre. Je me rappelle que, pendant le procès du Roi, le parti Brissot s’attendait que les puissances entameraient une négociation.

« Au reste, j’ai fait remarquer une fois combien il serait affreux de commencer une négociation, si la Reine devait être sacrifiée par la nécessité où seraient peut-être quelques puissances de refuser les conditions proposées, et il me semble que Vôtre Excellence a suffisamment excité l’attention de la Cour de

  1. Ancien directeur de la Monnaie à Perpignan, devenu receveur des finances de la généralité d’Orléans. Ayant émigré, il se fixa à Bruxelles, où Mercy parait avoir utilisé son dévouement. Ribes avait laissé à Paris un frère, ancien magistrat, qui fut arrêté sur la dénonciation d’un domestique qui gardait la maison du fugitif. Ce frère mourut à l’hôpital avant qu’on instruisît son procès.