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rappelé à la Convention, avec l’espoir de déjouer par sa présence les intrigues nouées contre lui.

Il semble qu’à ce moment, il ait voulu, en donnant à ses paroles et à ses actes un caractère révolutionnaire plus accusé, démontrer l’injustice des soupçons dont il était l’objet. Pas plus à cette époque qu’à aucune autre de sa vie, on ne relève à sa charge ces traits de cruauté froide dont quelques-uns de ses émules ont été prodigues ; nulle part, dans les documens officiels, on ne retrouve la phrase abominable que lui attribue un de ses biographes[1], comme extraite d’une lettre adressée à la Convention au cours de sa mission dans le Haut-Rhin : « J’ai dressé quelques guillotines sur ma route et je vois qu’elles ont produit un excellent effet. » Mais combien d’autres propos démontrent que, s’il n’a pas dressé des guillotines, il a pactisé par ses approbations avec les bourreaux qui les dressaient !

« J’ai lu tes lettres au Comité de Salut public, écrit-il, le 20 septembre, à Carrier, le féroce organisateur des noyades de Nantes ; elles sont pleines de vigueur et d’énergie ; continue, brave collègue ; c’est en poursuivant ainsi les coquins et les hommes douteux, c’est en déménageant cette engeance que tu sauves la République. Adieu, mon ami, je t’embrasse. » Il mande encore au même personnage : « Quand un représentant est en mission et qu’il frappe, il doit frapper de grands coups et laisser toute la responsabilité aux exécuteurs ; il ne doit jamais se compromettre par des mandats écrits, » — recommandation hypocrite dont celui à qui elle s’adressait n’a tenu aucun compte et qui nous livre peut-être le secret des apparences de modération relative que, vus à distance et comparés à ceux de ses complices, présentent les actes de Hérault de Séchelles.

Quand il arriva dans le Haut-Rhin, animé du visible souci de dissiper par son zèle révolutionnaire les suspicions dont il était l’objet à la Convention, il n’y avait plus lieu de recourir à ces habiletés et à ces subterfuges. Il fallait égaler en activité ceux qui dénonçaient ses liaisons, son modérantisme imité de celui de Danton, et les lui imputaient à crime. Aussi son premier cri en entrant en Alsace, le 8 novembre, est-il : « Que la Terreur soit à l’ordre du jour ! »

Après avoir fait établir, d’accord avec Pichegru, un camp

  1. Feller, Dictionnaire biographique.