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parler ! En sera-t-il moins vrai que le foie des vertébrés élabore du sucre ? Pas plus en morale qu’en physiologie, ce n’est donc la « conscience » que nous en avons qui fait la vérité des choses, et pas plus en religion qu’en morale. L’authenticité des évangiles ou la divinité du Christ ne dépendent ni de ce que j’en pense, ni de ce qu’en pensait Auguste Sabatier, ni de ce qu’en pense « personnellement » aucun de nos semblables. Elles sont ou elles ne sont pas : sunt ut sunt, mit non sunt ; et je les connais ou je ne les connais pas, mais mon adhésion ou mon refus d’y croire n’y saurait rien changer. Il n’y a pas de « religion personnelle, » parce que les vérités que toute religion propose à ses fidèles sont des « vérités impersonnelles. » Elles le sont d’une autre manière, et à un autre titre, mais elles le sont au même degré que les vérités de la physique ou de la géométrie. Et je vois bien qu’Auguste Sabatier, tout le long de son livre, a essayé de les dépouiller de ce caractère, mais il n’y a réussi que dans la mesure où il s’écartait de la notion même de « religion. » Pour un musulman comme pour un chrétien, les vérités premières de sa religion sont aussi certaines que pas un des axiomes d’Euclide ; et quand on essaie d’ébranler cette certitude, ce n’est plus seulement le caractère « impersonnel » de toute religion que l’on nie, mais c’en est du même coup le caractère « surnaturel. »

Car « il n’y a pas de religion naturelle ; » — et cela ne veut pas dire que la raison de l’homme, réduite à ses seules ressources, ne puisse atteindre et connaître quelque chose de Dieu. Je crois même, ou plutôt je suis sûr, en ce qui regarde le catholicisme, qu’un canon du concile du Vatican a décrété d’anathème, et par suite noté d’hérésie, quiconque soutiendrait le contraire. « Si quis negaverit Deum unum et verum, Creatorem et Dominum nostrum, per ea quæ facta sunt, naturali rationis lumine ab homine certo cognosci posse, anathema sit. » Mais on veut dire que la religion commence en quelque sorte au point précis où s’arrête la connaissance naturelle ; et que, par conséquent, une religion n’en est pas une, qui ne pose pas, à son point de départ, la nécessité, la vérité, la réalité du « surnaturel. » Non seulement, quant à sa forme, toute religion est collective, mais, quant à son essence, il n’y a de religion que du surnaturel. En quelque manière que ce soit, toute religion, toutes les religions affirment « qu’il y a dans le monde plus de choses que notre philosophie n’en saurait atteindre, » et qu’une partie de