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eux-mêmes « évoluent, » — nous l’avions ouï dire avant Arsène Darmesteter, — et, avec les mots, les choses qu’ils représentent, et, avec les choses, les idées que nous nous en formons. Mais qu’est-ce au juste qu’ « évoluer ; » et, par exemple, dirons-nous qu’il y ait jamais « évolution » de soi-même à son contraire ? J’admets sans difficulté que le mot de « Religion » n’ait pas aujourd’hui pour nous, — Français ou Allemands, Italiens ou Espagnols du XXe siècle, Anglo-Saxons ou Russes, — le sens qu’il avait jadis pour les Romains, de qui nous l’avons emprunté. Je conviens encore que nous ne l’employons pas toujours ni tous aux mêmes usages : et, assurément, quand nous parlons de la « religion de l’art » ou de la « religion de la souffrance humaine, » nous ne l’entendons pas de la même manière que quand nous parlons de la « religion de Mahomet » ou de la « religion » tout court. Il y a, comme on dit, une nuance, et même plus qu’une nuance. Mais ce mot, pouvons-nous l’employer à dire exactement le contraire de ce qu’il a signifié jusqu’ici ?

« La loi de notre être, nous dit quelque part Auguste Sabatier, est la loi de Celui qui nous appelle à la vie. » Et, en passant, je ne puis m’empêcher de faire observer que lui, Sabatier, le dit bien, mais il n’en sait rien ! « La loi divine et la loi humaine sont essentiellement identiques. » Il n’en sait rien encore ; et son affirmation a exactement la valeur de l’affirmation contraire. « Et c’est, continue-t-il, cette loi immanente qui, à mesure que l’homme en prend plus clairement conscience, le constitue nécessairement et à la fois dépendant en tant qu’être créé, et libre en tant qu’être spirituel et moral. » Comment sait-il ? et d’où ? ce que c’est que « d’être créé ? » Et il termine sa phrase : « La religion, c’est la conciliation vivante et heureuse de la dépendance et de la liberté. » Je le veux bien ! Mais je dis qu’aucune religion n’a cru qu’elle consistât en cela. Et je ne nie point qu’à rencontre de toutes les religions, un bon esprit puisse le croire, ni qu’Auguste Sabatier fût un excellent esprit ! Mais je dis qu’ainsi définie, sa « religion » n’en est pas une ! Elle est autre chose ! Et veut-on que je dise qu’elle est quelque chose de plus ? et de mieux ? Je le dirai donc ! Mais elle n’est pas une « religion, » bien loin d’être « la religion ; » et nous voilà ramenés à la fâcheuse équivoque.

On n’en sort pas, mais on s’y rengage d’une autre manière, et, pour ainsi parler, on s’y enfonce, quand on nous dit enfin :