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un peu des nouvelles : sur Mickiewicz et son cours[1] ; sur M. Frossard et son mal ; sur M. Vinet et ce qu’il écrit. Je m’occupe toujours beaucoup, en idée des Vaudois. Hier, c’était du vieux M. Cassât ou bien de M. Charles Eynard[2] dont je voudrais voir mainte biographie copieuse ; dans une dernière revue, je l’y pousse. J’espère que toutes les jeunes béantes (sans parler des autres) ne scandalisent pas trop, même Mme Forel. Ici tout cela coule, on ne se doute même pas qu’il y ait des différences. Paris, si méchant qu’il soit, a bien son charme pour cette facilité-là. On revient à qui mieux mieux de la campagne. Mme de Tascher est de retour ; je lis demain du Port-Royal chez Mme Récamier à M. de Chateaubriand. Ampère nous a lu l’autre jour un petit roman gallo-romain et franc du Ve siècle, un appendice en vignette à ses deux volumes : c’est fort ingénieux, il n’y manque que quelques touches lumineuses pour que ce soit tout à fait bien. Marmier va revenir de Stockholm. Je suis assez mondain, au moins les soirs ; car je travaille très exactement toutes les journées. J’ai revu les Nodier et l’Arsenal et cherche, par ces dissipations d’esprit et ces éclairs de souvenir, à tromper l’ennui présent, l’avenir douteux et si empêché, dites aussi l’absence. Tout le monde est si gueux ici que j’ai appris avec une vraie satisfaction et sentiment de condoléance que notre roi Louis-Philippe, malgré ses 12 millions tant reprochés, n’a pas de quoi payer ses fournisseurs et qu’il s’endette journellement. Quand tout le monde est si mal à l’aise, cela finit par consoler. La philosophie ne consiste souvent qu’à se bien pénétrer du mal des autres. C’est le moitié chemin de la charité.

« Travaillez bien, chère Madame, sans ternir pourtant vos yeux par toutes les poudreuses lectures ; faites et défaites les poètes, relevez Du Bartas et battez-moi, je serai heureux de tout, de votre part.

  1. Vinet fut conquis dès le premier jour par la puissance de la parole de Mickiewicz et a défini en deux mots l’impression que lui fit sa poésie : « Effrayant et sublime. » (Alexandre Vinet, par E. Rambert, t. II, p. 45.)
  2. C’est à lui qu’il écrivait un jour, après que les Olivier l’eurent rejoint à Paris : « Nous causons de vous ici quelquefois avec nos amis Olivier : il y a toute une colonie vaudoise ; j’en suis un peu exilé comme eux, c’est mon impression constante. Je suis de ceux qui n’ont plus de patrie. Paris n’en est pas une, c’est un grand hôtel où l’on vit à l’entresol. On y arrive pour passer quelques jours et on y reste toute sa vie, mais toujours pressé, toujours impatient et sentant que ce n’est pas là le lieu où l’on s’assied. » (Correspondance de Sainte-Beuve, t. III, p. 24.