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elle s’insinuait dans l’âme par degrés, au lieu de l’envahir subitement tout entière. M. Gevaert a très bien vu dans l’homophonie antique la principale raison de ce procédé ou de cette démarche lente. « Une succession de sons divers n’a de sens musical et expressif qu’autant que leur condition harmonique puisse être saisie, ou du moins sentie par l’auditeur. Dans notre musique polyphone, où chaque accent mélodique est élucidé par les accords dont il est accompagné, cette opération psychique se fait avec la rapidité de l’éclair. Mais, à l’exécution d’une mélodie homophone, les fonctions harmoniques ne se déterminent pour la perception auditive que peu à peu, l’une après l’autre, et l’harmonie totale ne se dévoile complètement au sens esthétique qu’avec la dernière note de la période musicale, en sorte que la compréhension est rétrospective pour ainsi dire. La première impression d’une œuvre musicale tout à fait nouvelle devait donc avoir pour la plus grande partie d’un public antique quelque chose d’indécis, partant de peu agréable. »

Quant à ceux dont l’office était d’avertir le public et de l’initier, il ne semble pas que leur tâche ait été plus facile. Plutarque énumère quelque part, d’après Aristoxène, les conditions nécessaires à la compétence et à l’autorité d’un bon juge en matière de musique : « Connaissance approfondie des trois parties de la théorie (harmonique, rythmique et métrique) ; exercice de la perception esthétique, acquisition de la faculté de saisir à la fois la succession des sons, la succession des durées, la succession des syllabes ; étude de la philosophie musicale dans ses applications pratiques ; doctrine de l’éthos, seule capable de fournir à l’œuvre d’art une règle de convenance, un principe d’utilité. »

Si nos anciens confrères savaient tant de choses, il est permis de croire que depuis les Grecs, la critique musicale, comme la musique elle-même, a changé.

Mais le problème qui nous occupe ici peut se poser et se résoudre encore autrement, dans un sens plus étroit et pour ainsi dire plus intérieur à la musique. Le goût de réentendre, le désir de retrouver, plus vif que celui de découvrir, est à la base même de notre art, et la musique, sous presque toutes ses formes, n’a pour objet que de l’exciter et de le satisfaire.

Hormis le chant grégorien et l’opéra d’Italie à certaines époques, on ne citerait peut-être pas un « genre » musical qui