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LES IDÉES MUSICALES D’ARISTOTE.
ne procédant pas du souffle humain, impressionne moins agréablement que le timbre de l’aulos et s’isole davantage de la voix.


Au contraire, il s’unit étroitement avec elle ; il lui ressemble, il en a les frémissemens et l’émotion. La voix des cordes, sans doute, ne leur vient pas des lèvres humaines ; mais des mains humaines les pressent ; elles vibrent contre notre cœur ; la matière même dont elles sont formées fut animée et vivante, et, quand il s’étonnait « que des boyaux de mouton puissent exalter ainsi notre âme ! » c’est des cordes que Shakspeare admirait le pouvoir.

Ce pouvoir mystérieux, les cordes ne l’ont pas usurpé sans réserve, et dans l’action, dans la beauté de la musique les instrumens à vent ont gardé leur part. Que de mélodies vocales ils soutiennent, à moins qu’ils ne les environnent ! Leurs accords donnent à la prière d’Élisabeth une pureté surnaturelle ; à l’incantation du Méphistophélès de Berlioz : Voici des roses, un caractère solennel, auguste même, de tendresse et presque de pitié. Alors même que les instrumens à vent chantent seuls, une phrase de clarinette du fameux quintette de Mozart, l’entrée d’Orphée aux Champs-Élysées rappellerait assez comme ils chantent. Mais le chant des instrumens à cordes est plus vibrant et plus vivant encore. Eux seuls peuvent redire après la voix les sublimes adieux de Wotan à Brunnhilde et redoubler la douceur avec l’amertume du baiser qui pardonne et qui punit. Le hasard du souvenir nous offre cet exemple ; la réflexion nous en fournirait d’autres, à l’infini. Qu’il accompagne ou qu’il joue seul, qu’il soit de symphonie ou d’opéra, l’orchestre a le quatuor pour centre ou pour sommet, et, si l’on pouvait en quelque sorte entendre à travers le passé la musique entière, c’est par la voix humaine et par celle des instrumens à cordes qu’on l’entendrait surtout chanter.

La voix humaine fut dans l’antiquité, l’agent ou l’organe privilégié de la beauté sonore. Presque toute la musique des Grecs était chantée. Ils aimaient la voix premièrement pour sa beauté spécifique et supérieure, parce qu’elle émane directement de notre âme et que, sans intermédiaire, elle l’exprime ou la représente, parce qu’elle en est le son naturel et vivant. Mais elle en est aussi la parole, et pour cette seconde raison les Grecs la chérissaient peut-être encore davantage. Ainsi la vocalité fut un des caractères de l’art hellénique ; mais la verbalité semble en avoir