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LES IDÉES MUSICALES D’ARISTOTE.

encore plus que de science. « Pourquoi, demande Aristote, le grave prévaut-il sur l’aigu ? » La musique antique a toujours reconnu cette prééminence, que nous n’acceptons plus aujourd’hui. Dès l’origine, au temps quasi fabuleux de Terpandre, « la corde la plus basse de la lyre, la fondamentale de l’échelle grecque, s’appelle l’hypate, la première en dignité, comme Zeus reçoit le surnom d’Hypatos. » Le principe, loin de s’affaiblir, s’étendit peu à peu, et l’élément grave, ou viril, régna sur le domaine entier des sons. Exclue de la monodie lyrique, des chants de la tragédie et de la comédie, la voix féminine était reléguée par la Grèce en des genres secondaires ou locaux. Quant à l’échelle sonore, aussi bien celle des voix masculines que celle des instrumens, elle ne s’éleva jamais aux degrés supérieurs. Enfin, dans la musique à deux parties, il était de règle de confier à la partie haute l’accompagnement, et la mélodie à la partie basse. « Ainsi, dit Plutarque, dans un ménage sagement gouverné, tout se fait du consentement des deux conjoints, mais de manière à mettre en évidence la direction et la volonté de l’époux[1]. »

Dans la musique, sinon dans le ménage moderne, il n’en va plus de même et l’autorité s’est déplacée. À cet égard, ainsi qu’à bien d’autres, « la musique grecque nous apparaît comme l’antithèse de l’art polyphone des Européens, dont la floraison mélodique s’épanouit dans les régions aiguës et pour lequel le timbre féminin est un élément constitutif de l’ensemble choral et orchestral. » N’allons pourtant pas en conclure que tout l’intérêt, toute la beauté se soit retirée des régions moyennes et basses. Celles-ci forment, au contraire, un domaine que, durant des siècles, les maîtres de la polyphonie vocale d’abord, puis de la symphonie, pure ou dramatique, n’ont cessé de féconder et d’enrichir. Une scène de Wagner l’attesterait, comme en pourraient témoigner, si nous remontions le cours de l’histoire, un finale de Beethoven, une fugue de Bach, voire un motet de Palestrina. Il arrive souvent que la gravité même des mélodies, ou seulement des sons, en accroisse le caractère et la beauté. Rappelez-vous le début du quatuor en fa majeur de Beethoven. Songez aussi quelle puissance emprunte au grondement des contrebasses le trio de la Symphonie en ut mineur. Imaginez

  1. Cité par M. Gevaert.