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guerre contre les diables étrangers… Ce fut une belle cérémonie : on lui fît lire ça en grande pompe par les astrologues hindous.

« Enfin, vous voyez les résultats. La Birmanie commence à s’ouvrir ; le peuple apprend que l’argent n’est pas tout à fait sans valeur. Autrefois, personne ne se donnait la peine d’en gagner. Les autorités auraient mis la main dessus tout de suite. Si, par hasard, on en avait un peu, vite des fêtes, pour le dépenser, ou bien, encore des pagodes, encore des bouddhas pour acquérir du mérite. Et puis les voilà qui se civilisent. Le bouddhisme est en baisse : nous fondons des écoles laïques, des collèges où l’on prépare aux examens de carrière, et la carrière, l’administration, les appointemens fixes, ça commence à les tenter autant que les babous du Bengale. D’ailleurs, contre le parti pris, l’orgueil indigène, c’est avant tout sur l’afflux des Hindous et des Chinois que nous comptons. Le Birman ne peut pas lutter ; son sort est réglé. Dans cent ans, il aura du sang de toutes les races d’Asie dans les veines, comme l’Américain a du sang de toutes les races d’Europe ; il ne s’en portera pas plus mal, mais le bouddhisme sera bien malade, au moins dans les villes. Déjà les pong-ghyes ont moins d’autorité. Au commencement, ils ne se dérangeaient pas, les moines, devant nos soldats : ils croyaient que Tommy allait leur céder le haut du pavé. Tommy leur a mis sa botte ferrée dans le derrière.

« Le bouddhisme ? Est-ce qu’il y a ici des Européens qui ont pris goût au bouddhisme comme le colonel Olcott à Madras ? Heureusement, pas beaucoup. Il y a trois ou quatre Irlandais qui s’appellent bouddhistes : ils se rasent la tête : ils mettent des robes jaunes, ils encouragent les indigènes… Les pourceaux (the swines) ! Ils ne feraient pas long feu à mon bord, ces traîtres-là ! Voilà vingt-cinq ans que je ne suis entré dans une pagode, que je n’ai regardé une fête indigène. On perd vite ces curiosités-là. J’ai appris le patois du pays (the lingo), mais je ne parle jamais à un Birman, — sauf pour donner des ordres. »


Cinq ou six passagers anglais. Je les regarde : quand on vient de vivre plusieurs semaines au milieu des images, des idées et des types d’Asie, l’Européen paraît étrange : si froid, si important, si peu humain, séparé de la nature et de ses