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la Chine à la nier, l’unité morale, rappelait aux Birmans les vieux temps de l’indépendance. Par lui persistait la vieille vie nationale, et c’est pourquoi le gouvernement de l’Inde va refuser sans doute de lui reconnaître un successeur. C’est donc un événement capital que ces jeux funèbres, une date dans l’histoire du pays ; on s’y applique à suivre les plus anciens des rites nationaux.

En ce moment, au moyen de treuils et d’un véritable funiculaire, on est en train de hisser le cercueil par-dessus tous les anneaux du reptile géant jusque dans la gueule énorme qui bâille au-dessus de nous. Cela fait, des bandes d’hommes viendront s’atteler à la plate-forme qui porte le monstre et le traîneront à travers le champ de fête. Il y en a cent cinquante, de ces chariots où se lèvent des architectures et des figures d’animaux, — chacun envoyé par une ville ou un district, et sur chacun — il faut que grimpe le cercueil. Rude besogne et telle qu’on n’arrive pas à hisser ce cadavre sur plus de dix chars par jour. C’est pourquoi, avec la permission des autorités anglaises, les fêtes doivent durer deux semaines.

Le quinzième jour, le feu termine tout. Imprégné d’huiles et d’essences, un bûcher s’élève sous une frêle construction de toile, une terrasse qu’anime la gaîté gambadante de cent poupées. Au-dessus, un clocher ecclésiastique élance sa pointe de sept toits. Sous ce tasoung on a posé la bière ; on a fait reculer la foule. Un grand silence d’attente : soudain jaillit un trait de feu, une fusée lancée vers la plate-forme ; d’autres suivent, rayant la nuit : un bombardement. Tout s’allume, les flammes surgissent, enveloppent la haute et fragile structure. Les toits croulent un à un. Le bûcher finit de brûler quand éclatent des matières pyrotechniques enfouies par-dessous, dans le sol. Dans une explosion d’artifices, au vacarme des acclamations et des orchestres, tandis que les créatures prodigieuses, les éléphans, les oiseaux-navires, les chimères, les cobras, décrivent leur ronde au-dessus de la foule, les cendres de la « Grande Gloire » montent au ciel, et ses élémens terrestres ont fini de se séparer.


Minuit. Sous des toiles tendues, à la lueur de mille lanternes, dans la chaleur de la nuit et d’une foule accroupie, je suis assis à côté du commissioner anglais et des magistrats birmans de Mandalay.