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ces tentes, mais, çà et là, à travers les rangs de spectateurs qui se pressent pour entrer, on aperçoit un geste de danseuse, une grimace d’acteur, la robe jaune d’un Pohn-gye débitant quelque sermon. Et les musettes nasillent, et les gongs tonnent, et les voix glapissent.

Belle humeur communicative de ce peuple. Les visages ont quelque chose de plus mobile encore que d’ordinaire, de rayonnant et d’allégé. Les plus graves sont les petits enfans parés comme des châsses. On s’aborde, on se félicite : jolies simagrées de surprise et de politesse. Un minois pareil à tous les autres et que nous n’aurions pas distingué s’illumine à notre rencontre ; une voix aiguë s’exclame. C’est Ma-Ki, une petite marchande qui, ce matin, nous a vendu des marionnettes birmanes. Quel bonheur de se retrouver là ! Merveilleux hasard ! Que de choses sans doute à nous dire ! Et c’est un gazouillis auquel, stupide, nous ne savons rien répondre. Réduite à la mimique de l’allégresse, la conversation ne va pas très loin. Attristée, elle nous présente une bande de petits frères, et c’est alors une série de courbettes de toute la jolie famille, les mains sur le cœur, aux lèvres, des salutations à n’en plus finir.

Autour de ce grand quadrilatère, une file de hangars improvisés enferme la foule : le campement des pèlerins, laïques et religieux. Sous ces toiles où logent des milliers de pieuses gens, chacun, à côté de ses humbles boîtes de provision, est aussi tranquille, aussi à l’aise que chez soi. Une natte, quelques vases et plateaux de laque ou de cuivre, c’est tout le mobilier des petites cases birmanes, et ce mobilier, chacun a pu l’apporter avec lui. Assis par terre, le menton aux genoux, fumant des cigares qui ressemblent à des mirlitons, ils causent doucement ou rêvent, tout à fait abstraits du mouvement et du bruit de la fête. D’ailleurs c’est l’habitude de passer ainsi la nuit, en troupeau. On l’a prise à ces veillées, où deux et trois fois par semaine, après la moisson surtout, le peuple d’un village s’assemble devant une troupe de danseuses. On y amène les petits enfans ; on s’installe en famille sur de petits tapis, on se repose de fumer les herbes inoffensives des grands cigares en mâchant du bétel. Après le bétel, un bonbon, puis encore un grand cigare. A la longue les monotones évolutions des acteurs amènent çà et là le sommeil. On s’assoupit au tintamarre continu de l’orchestre. De temps en temps, un mouvement du voisin, un silence des gongs