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mais on refuse de les entendre et de les interroger. Chacun d’eux en arrivant reçoit personnellement du ministre de la Guerre l’ordre de se rendre à l’état-major de l’armée d’Espagne ou à l’état-major de l’armée d’Italie, dès qu’il aura purgé sa quarantaine. Le maître ne veut pas que tous ces témoins puissent se voir et se concerter pour égarer sa justice. Ce n’est pas une enquête qu’il demande, c’est un jugement.

Ce ne fut pas aussi facile qu’il le croyait d’abord. Sa première pensée avait été de faire juger le général Dupont et ses coaccusés par la haute cour impériale. Déjà les préparatifs étaient faits au Luxembourg, le général avait même choisi ses défenseurs. Puis l’Empereur se ravisa : les renseignemens qu’il recueillit lui firent craindre un acquittement et il renonça, pour le moment du moins, à faire instruire un procès régulier. Les accusés n’y gagnèrent rien. On les maintint dans la prison de l’Abbaye, où ils occupaient des chambres malsaines, empoisonnées d’odeurs fétides. Plusieurs d’entre eux tombèrent malades, les médecins conclurent à la nécessité de les déplacer et on les envoya séparément dans des maisons de santé voisines de Paris, sous la surveillance de gendarmes qu’ils étaient tenus de loger et d’entretenir. Aucune considération d’humanité ne put fléchir en leur faveur le ressentiment de l’Empereur. Le général Chabert, réduit au tiers de sa solde d’activité et sans fortune, faisait valoir l’impossibilité où il se trouvait de faire vivre sa famille et de subvenir aux frais de la maladie qu’il avait contractée à l’Abbaye, Le ministre de la Guerre transmit cette touchante supplique au maître, qui de sa main écrivit en marge : « Refusé. »

Les années passaient sans que les accusés eussent pu faire valoir leurs moyens de défense et obtenir des juges. L’Empereur ne désarmait pas pour cela. Il attendait son heure. Un décret impérial du 12 février 1812 ordonna la réunion au Palais des Tuileries d’un conseil d’enquête, composé de quinze grands dignitaires choisis par le souverain, et chargé d’émettre un avis sur la conduite du général Dupont et de ses coaccusés à Baylen. Ce conseil tint six séances, du 17 au 26 février, sous la présidence de l’archichancelier Cambacérès. Les accusés comparurent devant lui sans défenseurs. On leur lut le réquisitoire du procureur général et chacun d’eux eut deux jours pour rédiger sa défense de mémoire, car on leur avait pris tous leurs papiers. Dupont particulièrement ne put obtenir aucune des