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le haut, élargi aux ailes. La bouche est petite, un peu charnue. Les cheveux sont blonds et frisés ; une boucle descend sur le front, selon la mode du temps. Le front est plutôt large que haut. Schopenhauer avait la petite taille de sa mère, la poitrine bombée, les épaules larges, la voix forte, la parole incisive. Il était soigneux de sa mise, et il a toujours gardé, selon la recommandation de son père, sa tenue de gentilhomme. On disait qu’il ressemblait à Voltaire quand il parlait, à Beethoven quand il se taisait[1].

Schopenhauer, à l’âge de vingt-cinq ans, n’a encore rien publié ; il n’a fait que prendre des notes sur ses lectures. Mais dès maintenant on peut déterminer les élémens dont se composera sa philosophie. Sa vocation s’est décidée pendant l’enseignement qu’il a reçu de Schulze, un kantien sagace et prudent, se défiant des conséquences qu’on commençait à tirer de la doctrine du maître. Ses observations personnelles se portent principalement, par suite d’une disposition innée, sur les côtés tristes de la destinée humaine. « La vie, disait-il à Wieland, est un dur problème à résoudre ; j’ai consacré la mienne à y réfléchir. » Ses réflexions se coordonnent à la lecture de Kant et de Platon. Il empruntera au premier sa théorie de la connaissance, en la modifiant dans les termes plutôt que dans le fond ; au second, sa vision sublime des Idées, dans lesquelles il trouvera l’inspiration et la règle de la poésie et des arts. Il composera ainsi un pessimisme d’une espèce particulière, qui n’abdiquera d’un côté que pour se reprendre de l’autre, et qui se relèvera du spectacle déprimant de la réalité par la contemplation idéale.


A. BOSSERT.

  1. Le portrait de Schopenhauer qui a été le plus souvent reproduit est celui d’Angilbert Gœbel ; il a été fait en 1859. Schopenhauer, alors âgé de soixante et onze ans, le trouvait « ressemblant, très bon, mais sans aucune idéalité. » Les traits sont devenus durs, le front s’est dégarni, la bouche s’est élargie par la chute des dents, mais le regard a gardé tout son feu. C’est ce portrait qui semble avoir servi de modèle à celui de Lenbach, fait pour la Villa Wagner à Bayreuth. Lenbach y a mis « l’idéalité, » mais il a noyé les traits dans les tons neutres et affaibli l’expression. Le portrait de Gœbel est reproduit dans Gwinner (ouvrage cité, p. 582), celui de Lenbach dans Schemann (Schopenhauer Briefe, p. 510).