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chinoises, broderie sur broderie, projettent sur l’or étouffé des murs l’ombre de leurs surplombs.

Sur les balcons admirables, nous avons trouvé le plancher vermoulu comme celui d’un grenier très vieux ; mais une troupe de petits enfans nous guidait, nous enseignait à mettre les pieds où il fallait pour éviter les trous et ne pas choir dans le ténébreux dessous où les serpens rouges se renversent pour, de leur queue, soutenir le monastère. Au seuil des portes étroites qui donnent accès dans les chambres intérieures, des novices, assis sur leurs talons, tête baissée, copiaient avec un stylet des textes sur de longues palmes. D’autres, debout, flânaient ; l’œil vague, avec une indifférence bouddhique, ils nous regardaient passer. Ils portaient la robe monacale, couleur de flamme, aux grands plis de beauté sculpturale, splendeur tranquille et simple comme leurs attitudes classiques sur le fond plus grave, mais rayonnant aussi, sur le fond doré des boiseries précieuses. A travers ces portes on entrevoyait le dedans du monastère : une obscurité vaste, et, çà et là, dans cette nuit, encore des reflets d’or, des luisans de murs et de piliers, des richesses mystérieuses, confuses.

Mais, plutôt que d’entrer, nous nous attardions sur ces galeries à cause de la beauté de l’heure et de la gloire violette, suspendue dans le ciel déjà nocturne. Autour des prodigieux bijoux, de grands végétaux, d’une luxuriance tropicale, mettaient un enveloppement de noirceur, des tentures pesantes et molles de velours. Leur profusion se mêlait à la profusion de l’édifice ; les franges des palmes aux franges ciselées des toits. Ces puissans feuillages se découpaient en masses opaques sur le fluide lumineux et presque rouge épandu dans l’espace. La fumeuse odeur du soir se dégageait de la terre comme une ivresse. Et toute cette nature semblait étouffée sous sa propre magnificence, surchargée de vie, trop fastueuse, comme cette œuvre des hommes qu’elle avait inspirée. À cette heure où les choses s’enténébraient et se faisaient plus significatives, on la sentait, cette chaude vie, suspendue dans le silence et dans l’attente, passive et comme pâmée sous les ardeurs du crépuscule tropical.

Mais nos petits guides s’impatientaient ; ils nous tiraient par la manche pour nous mener devant les petits monstres sculptés par groupes sur le balcon. Ils nous disaient leurs noms : à propos de chacun, c’était une longue histoire, la légende de ces