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par conséquent une chose meilleure comme ayant racine dans mon meilleur passé. Veuillez, en présentant mes respectueux hommages à Mme Olivier, diminuer en quelque chose l’opinion défavorable que l’apparence d’un mauvais procédé a pu imprimer à un esprit aussi délicat ; j’ose croire qu’elle voudra bien ne plus s’en souvenir, quand j’aurai l’honneur et le plaisir de vous voir, soit là-bas, ce que j’espère peu, soit ici, ce qui me paraît une certitude presque prochaine d’après ce que vous me dites.

« Votre très dévoué

« SAINTE-BEUVE[1]. »

Paris, rue du Mont-Parnasse, 1 ter.


On voit par cette lettre que, dans l’intervalle, Juste Olivier s’était marié. Il avait épousé une jeune fille du nom de Caroline Ruchet, appartenant à une des meilleures familles du canton de Vaud, et qui avait rapidement acquis, grâce à d’heureux essais poétiques, une réputation de talent que rehaussait l’éclat d’une rare beauté. Et, comme pour témoigner à tous que c’était la poésie qui avait cimenté l’union de leurs cœurs, ils avaient publié ensemble, en cette année 1835, sous le titre des Deux Voix, un volume de vers qui avait, à peine paru, conquis tous les suffrages. Non, certes, que la critique n’y pût trouver rien à reprendre ! A l’examiner d’un peu près, il était facile d’y relever des vers creux, anodins, d’une facture plutôt gauche, des strophes manquées, des expressions prosaïques, et, sur les Deux Voix, comme s’avisa de le remarquer un mauvais plaisant en jouant sur les mots, il n’y en avait qu’une de juste. Mais il ne faut pas demander à une jeune femme plus qu’elle ne peut donner, et d’ailleurs, il y avait, dans certaines pièces de Mme Olivier, dans le Sapin entre autres, une inspiration véritable et qui faisait passer sur les faiblesses et les gaucheries des autres[2]. Quant à son mari, tout en lui reconnaissant de grandes qualités

  1. Lettre inédite.
  2. « Chez Marmier, écrivait un jour Sainte-Beuve à Olivier, nous avons eu le petit punch… Nous avons dit des vers, petits, courts, vifs, comme le punch qu’à petits coups nous buvions. Brizeux en a dit de jolis, pareils à des fleurettes franches et sauvages qu’une chèvre d’Arcadie irait mordre aux fentes des rochers. En qualité de Grec par le goût, il est à un certain moment entré dans une violente colère contre le Nord et contre les sapins. Un Russe qui était là, M. de Tourgueneff, a répondu : nous avons plaidé pour le Nord, et tout d’un coup Marmier, allant à un rayon de sa bibliothèque y prit le livre des Deux Voix : alors j’ai lu le Sapin à Brizeux, qui s’est déclaré désarmé… » (Lettre du 6 janvier 1839.)