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résultat des découvertes contemporaines a été d’étendre considérablement le cercle d’activité de ce volumineux organe, et de montrer sa participation au plus grand nombre des mutations de matière dont l’économie est le théâtre.


I

Dans l’histoire du développement de nos connaissances, le foie a subi d’étranges vicissitudes. Les anciens anatomistes avaient la plus haute idée de son rôle. « Je ne sais pas ce que je ferai, disait le personnage du roi Lear, mais ce seront de grandes choses ! » Ainsi le foie. Les contemporains d’Erasistrate et ceux de Galien ignoraient ce qu’il faisait, mais c’étaient de grandes choses : ils le mettaient au pinacle. On peut dire qu’il y est resté pendant tout le moyen âge et les commencemens de la Renaissance : son règne, comme l’autorité même de Galien, a duré treize siècles. Une révolution, provoquée par la découverte des vaisseaux lymphatiques, au milieu du XVIIe siècle, le précipita du siège élevé qu’il occupait dans la hiérarchie des organes.

Déjà, depuis une centaine d’années, les recherches anatomiques avaient commencé d’ébranler la foi dans les dogmes d’Aristote et de Galien. L’esprit nouveau, le vent de libre examen, avaient soufflé sur l’œuvre galénique, et l’autorité de l’expérience s’était dressée contre la parole des maîtres. Realdo Colombo écrivait, en 1559, qu’une certaine vivisection en apprenait « plus, en une heure que trois mois de lecture, des livres galéniques. » La publication du traité d’anatomie de Vésale en 1543, la découverte delà petite circulation dix ans plus tard, par Realdo Colombo ou Michel Servet, avaient contredit l’enseignement traditionnel. La découverte des vaisseaux lymphatiques par Aselli en 1622, six ans avant qu’Harvey publiât sa découverte de la grande circulation, porta le dernier coup aux doctrines de Galien en général, et, en particulier, à sa théorie sur le rôle du foie : Princeps corporis, cocus et arbiter. Cet organe déchu n’eut plus pour office que de sécréter une petite quantité d’un liquide excrémentitiel, la bile.

L’observation d’Aselli sur les lymphatiques de l’intestin ou chylifères, confirmée de 1647 à 1651 par les observations de J. Pecquet, d’O. Rudbeck et de Bartholin sur les lymphatiques du reste du corps, était, en effet, incompatible avec les fonctions que l’on attribuait alors au foie. On verra tout à l’heure en quoi et comment. Toujours est-il que les novateurs n’eurent point un triomphe facile, car on contesta leurs idées : ils ne l’eurent point modeste non plus. L’un d’eux,