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ont marqués du caractère ascétique. Têtes rases, crânes polis, sillonnés comme des coquilles de noix, minceur des lèvres, austérité des traits, si fort est en eux le type professionnel, celui qu’ont créé les influences morales, l’action constante de la vie et des sentimens monastiques, qu’il domine le type de race : ces religieux dont l’œil est en amande, ces révérends mongols ne ressemblent pas tant à leurs frères birmans de la rue qu’à des moines catholiques du moyen âge, qu’à de maigres figures d’évêques sculptées aux porches de nos cathédrales. Ils mangent en silence, avec modestie. Leurs attitudes signifient l’habitude de la règle et les influences du vêtement monacal dont la gravité se communique aux gestes. Une nuance pourtant, que l’on aperçoit bientôt, distingue ces religieux bouddhistes : on n’a pas envie de les interroger ; on sent bien qu’aucun n’a rien à dire. Aspect mort et fermé de ces visages. On dirait un bois jaune et dur, si précise est l’immobilité des maigres traits. Nul ondoiement de vie qui, malgré tout, vienne affleurer aux yeux, aux lèvres, affiner le creux de l’orbite ou de la tempe, jeter une saillie de volonté dans la mâchoire. L’esprit en eux parait ossifié, sans réaction. Leur chair est desséchée, mais non, certes, par les ardeurs de l’âme. La coutume, une indolence native, l’égoïste idée du salut à gagner à force de jeûnes et de patenôtres les ont conduits à l’apathique ascétisme de ces couvens. Pareils et simples, pauvres de rêve et de vouloir, amortis d’avance, la discipline a pu les façonner avec cette rigidité mécanique. Chez presque tous, le regard est apaisé pour toujours, vidé de son énergie, l’âme morte dans la chair mortifiée. Plusieurs qu’on voit traîner par les rues touchent certainement à l’hébétude. Mais cela même n’est pas spécialement bouddhique. J’ai déjà vu ces expressions chez des moines maronites du Liban. Elles devaient être fréquentes dans la Byzance décadente, si l’on en juge aux figures de momies des vieilles mosaïques, à leurs gestes de mannequin.

Mais, soudain, quelle musique affreuse nous traverse de ses vibrations ? Quel rauque barrissement de conques païennes dans un tintamarre de tam-tams ? Sûrement l’appel au culte du soir dans quelque temple hindou qui se réveille au crépuscule d’or et de rose après la léthargie de la journée. Vite nous laissons les moines bouddhistes à leur engourdissement sous les palmes et nous courons vers cet endiablé vacarme. C’est à cent mètres