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où elle sera en mesure de le recueillir ou de s’en emparer elle-même. Cette conception de l’avenir qui attend nécessairement la Macédoine est celle de tous les Hellènes : rien n’a pu affaiblir chez eux une espérance qui a toute l’ardeur d’une foi quasi-mystique. On leur disait, encore l’autre jour, au Parlement anglais, que leur race était aujourd’hui en minorité en Macédoine. Ils ne le croiront jamais ; il n’y a pas de parole gouvernementale, il n’y a pas de statistiques officielles qui puissent les convaincre. Le malheur est que les Bulgares ne sont pas moins convaincus, et sans doute à plus juste titre, qu’ils sont les plus nombreux en Macédoine, et que les Serbes ont de bonnes raisons de croire qu’ils dominent dans une notable partie du pays. Comment mettre d’accord tant de prétentions différentes et opposées ? Bien hardi qui l’entreprendrait ! Bien habile qui y réussirait ! Mais on peut voir par l’exemple des Grecs, devenus les meilleurs amis de la Porte contre l’ennemi commun, le Bulgare, à quel point la conscience s’obscurcit sous les atteintes de l’égoïsme, surtout lorsque l’égoïsme parvient à se déguiser en patriotisme. N’importe : les Grecs feraient bien de ne pas donner à leurs sentimens une expression aussi publique. Quant à ces sentimens eux-mêmes, nous n’aurons pas la naïveté de les leur reprocher : ils sont généraux dans les Balkans. Tout le monde y est pour la Turquie contre le voisin chrétien ; et, il faut bien le dire, si la Turquie n’était pas là pour faire la police, et l’Europe pour maintenir un peu d’humanité au milieu de ces races jalouses et ambitieuses, on verrait entre elles des massacres qui rappelleraient ceux du moyen âge. Il résulte de tout cela que les questions orientales ne peuvent être résolues que d’une manière lente, partielle et provisoirement insuffisante ; mais qu’y faire ? Les solutions logiques, radicales et rectilignes, si on voulait y recourir, augmenteraient partout le désordre et feraient couler des torrens de sang. La sécurité du reste de l’Europe finirait elle-même par en être troublée. Or, l’Europe, après avoir tant fait pour les nationalités orientales, et quelque disposée qu’elle soit à ne pas abandonner son œuvre et à faire davantage encore, a pourtant bien le droit de songer aussi à sa propre tranquillité.

Il est permis d’espérer, malgré les mauvaises apparences actuelles, que le danger immédiat pourra être conjuré ; mais il renaîtra sûrement si la Porte ne profite pas des accalmies relatives qui s’offrent à elle pour opérer les modestes réformes qui lui ont été demandées. elle a eu quelques mois après les alertes du printemps dernier, et n’en a pas profité. Si elle continue dans ce système d’atermoiemens et d’inaction,