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individus, et qu’elle cherchât à atteindre le mal dans sa racine. Elle a demandé la mise en liberté des Bulgares qui avaient été indûment arrêtés et emprisonnés, le rétablissement dans leurs fonctions des fonctionnaires qui avaient été arbitrairement évincés, et enfin, comme garantie de l’ordre pour l’avenir, la nomination immédiate et à poste fixe, dans la gendarmerie et dans la police, d’officiers étrangers capables d’aider à la réorganisation de ces services. Il est regrettable que le gouvernement russe ait cru devoir demander en outre qu’une réprimande fût infligée à Hilmi-pacha, d’abord parce que l’inspecteur général paraît avoir été sincère dans sa bonne volonté et que ce n’est pas sa faute si elle a été paralysée en haut lieu ; ensuite, parce qu’un blâme ne peut que diminuer son autorité, qui n’est déjà pas bien grande, et qui aurait besoin de l’être, dans la situation infiniment difficile où il se trouve. Mais peut-être a-t-on pensé à Saint-Pétersbourg qu’on comprendrait à Constantinople par qui la réprimande était méritée, et jusqu’à qui elle devait légitimement remonter.

C’est ici qu’est intervenue la manifestation navale de la Russie. La Porte prodiguait les assurances de bon vouloir, mais s’en tenait là. On s’est décidé, à Saint-Pétersbourg, à mettre fin à ses hésitations et tergiversations en usant d’un procédé qui réussit toujours auprès du Sultan, et dont nous avons usé récemment nous-mêmes, dans une circonstance de moindre intérêt à coup sûr, en envoyant quelques navires à Mitylène. La Russie a opéré dans la Mer-Noire. elle a envoyé ses vaisseaux à l’entrée du Bosphore, — on dit même qu’un contre-torpilleur y a pénétré, — et cette fois encore, le succès de la démonstration y a été complet et instantané. Le Sultan a pris très vivement son parti ; il a cédé sur tous les points ; il a promis tout ce qu’on voulait. Il y a lieu d’espérer qu’il tiendra des promesses faites dans de pareilles conditions, et ne s’exposera pas, de la part de la Russie, à une nouvelle démarche, qui devrait être naturellement plus décisive. Certes, la Russie n’a nul désir de la faire ; elle a prouvé surabondamment depuis quelques mois qu’elle était favorable aux réformes, mais non pas à la révolution dans les Balkans ; elle a poussé la patience jusqu’aux dernières limites. Mais enfin elle les a atteintes. Son intervention était si naturelle, si légitime, qu’elle n’a produit de susceptibilités nulle part.

Évidemment, la Russie n’a rien fait sans en avoir avisé le gouvernement austro -hongrois et sans s’être mis d’accord avec lui. Mais, à Vienne et ailleurs, on ne pouvait qu’approuver son initiative, d’autant plus qu’on était sûr qu’elle resterait prudente, et que l’indispensable