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faisaient avec une admirable douceur, et non sans de grands frais, » ajoute naïvement le vieux chroniqueur. Et les évêques anglais les connaissaient bien, qui, en 1241, ayant à envoyer une ambassade à l’empereur Frédéric II, avaient choisi pour cette ambassade des frères mendians, et avaient justifié leur choix par cette citation : Cantabit vacuus coram latrone viator. « Ces voyageurs-là, s’ils rencontrent un voleur, chanteront, n’ayant rien à perdre. » Aussi ne s’étonne-t-on pas de lire que, remplis comme ils l’étaient de l’image de saint François, les premiers frères anglais aient vu souvent le saint apparaître parmi eux. Constamment, à l’un ou l’autre d’eux il se montrait en rêve, pour l’instruire, le consoler, ou pour le gronder ; et ces visions-leur étaient devenues si familières, que, dans leur embarras, ils ne s’en remettaient qu’au bienheureux François du soin de les guider.

C’était lui, peut-être, qui leur dictait les simples et charmans apologues qu’ils prêchaient au peuple en toute occasion, et dont Thomas d’Eccleston nous a conservé deux ou trois spécimens. Pour accoutumer les novices au respect silencieux de leurs supérieurs, par exemple, le frère Albert leur racontait l’histoire d’un paysan que saint Pierre avait autorisé à demeurer dans le Paradis, à la condition seulement qu’il gardât le silence pendant la première journée ; mais sans cesse le paysan avait vu des choses qui lui avaient paru si peu raisonnables qu’il n’avait pu s’empêcher de vouloir les corriger en disant son avis : de telle sorte que saint Pierre avait dû le renvoyer sur la terre. Ou bien c’était d’histoire d’un jeune taureau qui, indigné de la lenteur que mettait un bœuf à labourer un champ, s’était offert à le remplacer sous le joug, s’était mis à courir, et, au milieu du champ, avait été forcé de s’arrêter, par excès de fatigue ; et l’histoire s’adressait à des novices qui, dans leur zèle, trouvaient que leurs supérieurs n’agissaient pas assez vite.

Ainsi nous assistons, heure par heure, aux semailles de ce grain qui, en effet, selon l’expression d’Eccleston, devait bientôt produire « une abondante et belle moisson. » Le même Eccleston, d’ailleurs, ne manque jamais à nous rapporter les éloges accordés par les chefs de l’ordre aux franciscains anglais. Il nous apprend que le frère Albert, à Rome, en mourant, « a loué les frères anglais par-dessus toutes les autres provinces, pour leur zèle et leur charité. » Et il nous apprend encore qu’un autre ministre général, Jean de Parme, s’est écrié plus d’une fois, en parlant de l’Angleterre : « Quel dommage qu’une telle province ne soit pas située au centre du monde, de façon à servir