Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/945

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’à Londres, ils furent reçus à bras ouverts par les Dominicains. Là aussi ils ne tardèrent pas à se trouver un logement, dans le faubourg le plus pauvre et le plus malsain de la ville. Et bientôt une quatrième colonie franciscaine se fonda à Cambridge, dans une vieille synagogue dont la plus grande partie servait de prison. Cette colonie put même, avec dix marcs qu’on lui donna, s’offrir le luxe d’avoir une chapelle : une chapelle bien modeste, d’ailleurs, car un charpentier la construisit en une seule journée. « Ainsi le doux Jésus sema, dans la terre anglaise, les premiers grains d’une moisson qui devait par la suite devenir abondante et belle entre toutes. » Trente-deux ans après l’arrivée des neuf frères à Douvres, en 1251, la province franciscaine anglaise comprenait déjà quarante-neuf maisons ; et le nombre des frères qui les habitaient était de mille deux cent quarante-deux.

Ce sont ces premiers progrès de l’ordre de saint François en Angleterre que nous raconte une chronique latine, écrite, en cette même année 1251, par un frère anglais, Thomas d’Eccleston, qui nous dit dans sa préface que, « depuis vingt-cinq ans, il a eu la joie d’en recueillir les élémens des lèvres de ses bien-aimés pères et frères. » Chronique infiniment instructive et touchante, que quelqu’un devrait bien nous traduire tout entière. Comme le remarque très justement l’éminent franciscain qui vient de la traduire en anglais, « elle n’a point le charme poétique des Fioretti, et le gris du ciel anglais se reflète dans son style, de même que l’autre livre est tout pénétré du clair soleil d’Italie. » Mais, ainsi que le note encore le traducteur, « dans l’un et l’autre livre se retrouvent la même atmosphère intellectuelle fraîche et vivifiante, les mêmes précieuses franchise et simplicité de l’esprit franciscain. » Le fait est qu’on ne saurait imaginer un récit plus simple, ni aussi plus franc, apportant une conscience plus scrupuleuse à signaler tour à tour le bien et le mal : un véritable modèle d’impartialité, et, en même temps, de belle et méritoire exactitude historique. Pas une fois le vieux chroniqueur ne manque à nous indiquer ses sources d’information, à contrôler l’un par l’autre les renseignemens qu’il recueille, à placer tous les faits à leur date, sans craindre la sécheresse ni les répétitions. Et bien que son récit n’ait point « le charme poétique des Fioretti, » il est cependant tout rempli de petits tableaux émouvans, comme celui des compagnons d’Agnellus de Pise buvant à la ronde leur bière chaude dans la salle d’école de Cantorbéry, ou de petits portraits d’une grâce ingénue, comme celui du frère Salomon, que je ne puis m’empêcher de citer encore.