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n’écrivît pas d’abord ces Courbezon, simple histoire d’un pauvre desservant des Cévennes méridionales, drame intime dont il connaissait tous les personnages, pour les avoir rencontrés cent fois dans les presbytères des monts Garrigues et des monts d’Orb. C’est ensuite, et, pour ainsi dire, en suivant l’ordre chronologique, ce clergé auquel il a failli appartenir. Mais, dans ce dernier ordre d’études, n’est-il pas vrai que de larges perspectives s’ouvrent devant lui ? « J’entrevis la possibilité de réaliser un jour une sorte de Comédie cléricale. Qui mieux que moi, frais émoulu de deux séminaires, qui mieux que moi, parmi les écrivains de ma génération, avait été préparé à pareille œuvre ? Assurément ces personnages, le mari, la femme et l’amant, qui défraient le drame contemporain, qui le défraieront peut-être toujours, car les combinaisons entre ces trois facteurs sont inépuisables comme la vie elle-même, offraient un intérêt très vif. Mais comment arrivait-il que ces combinaisons tantôt ingénieuses, tantôt puissantes, me laissaient froid ? Où mon cœur était-il placé ? Je ne l’avais donc pas à gauche, comme tout le monde ? Dans l’Église, au contraire, j’étais saisi, touché tout de suite. Il n’était pas un détail, du bénitier au tabernacle, dans le domaine des choses, du plus humble desservant au Souverain-Pontife, dans le domaine des hommes, qui, empreint pour moi de quelque souvenir suave ou terrible, ne me remuât tête et cœur. Ici, sous les voûtes d’une cathédrale, dans le palais d’un évêque, dans le presbytère d’un doyen, dans un couvent de réguliers, j’allais de ma libre allure, j’étais à la maison, tout m’appartenait, les échos me répondaient d’une voix amie. Et j’irais m’évertuer dans le champ d’autrui, dans le communal parisien, où, avec des chances diverses, trime une armée de mes confrères, quand il dépendait de mon énergie de faire ma moisson, une moisson abondante et superbe, sur un terrain privilégié, sur un terrain choisi, sur un terrain à moi ! » Le fait est que la matière était à peu près intacte. Au moment où Ferdinand Fabre commence à écrire, le prêtre n’a encore presque pas de place dans le roman : c’est tout juste s’il occupe un ou deux des compartimens de la Comédie humaine et s’il apparaît, comme personnage épisodique, dans Madame Bovary. Si d’ailleurs les romanciers naturalistes devaient par la suite essayer de le peindre, rien n’a été mieux fait pour montrer la difficulté de l’entreprise et les mécomptes qu’elle réserve à ceux qui l’abordent sans préparation et sans respect.

Non seulement le domaine où l’écrivain s’enfermait lui tenait en réserve toute sorte de richesses encore inexploitées, mais, en limitant l’horizon de ses études à celui de ses souvenirs, Ferdinand Fabre