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Noblement douloureux, séparés côte à côte,
Tels se sont accomplis nos tragiques destins ;
Et nous avons vieilli, l’un pour l’autre hautains,
De crainte d’effleurer la plus légère faute.

Mais, de même que sont venus les bûcherons,
Quand surgira la Mort très douce, qui délivre,
Purifiée enfin, notre âme pourra vivre
De l’extase où tous deux nous nous réfugîrons.


INSCRIPTION ANTIQUE


Vieux chêne, qui frémis d’une vaste colère ;
Dont la racine souple et le tronc séculaire,
Aussi durs que le roc qui les nourrit, ont crû ;
Vieux chêne, sur la cime éternelle apparu ;
Dont l’âpre griffe au sol granitique s’implante,
Autour de toi, ce soir, une meute hurlante
Semble aboyer avec fureur ; arbre, tu sens
S’acharner contre toi des monstres menaçans,
Et, de tous les côtés assailli, tu t’efforces,
Trempé d’air pur et sous ta cuirasse d’écorces,
D’opposer à l’horreur des tourbillons glacés,
Aux funestes sanglots, aux râles courroucés,
Au noir déchaînement de la brutale horde,
Bien que parfois un souffle irrésistible torde
Tes bras noueux qui dans l’ombre craquent soudain,
Ta vigilance et ton audace et ton dédain ;
Et tu sais, bien que ta ramure se lamente,
Tenir tête aux amers défis de la tourmente.
Mais, vieux chêne héroïque et las d’avoir lutté,
Quand reviendra la gloire ardente de l’Eté,
Alors les moissonneurs fendant comme une houle
Les épis, dont le peuple au vent des faulx s’écroule ;
Les sauvages troupeaux épars aux prés lointains,
Qu’emporte la fougueuse ivresse des instincts ;
La charrue imprimant sa trace diligente ;
Les sinuosités des rivières, qu’argenté
Le grand ciel traversé par des nuages fous ;
Les taureaux sous le joug ployant leurs larges cous,