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notre action à Mascate ne s’était guère manifestée jusqu’alors que par la conclusion d’un traité de commerce datant de 1846 ; nous n’avions aucun intérêt bien défini dans ces régions et nous ne pouvions motiver notre intervention diplomatique que par notre désir d’empêcher une trop grande extension de la puissance anglaise en Asie et en Afrique. D’autre part, la Grande-Bretagne avait acquis une situation prépondérante à Mascate.

Dans ces conditions, on se demandera peut-être comment le Foreign-Office put être amené à conclure un accord qui donnait à une tierce puissance le droit de s’opposer à l’annexion par l’Angleterre du sultanat de Mascate, et le fait serait difficilement explicable en effet, si on voulait l’apprécier avec les idées qui ont actuellement cours en matière coloniale, surtout en Angleterre, où la doctrine de l’impérialisme a fini par prévaloir. Mais telles n’étaient pas en 1862 les idées en faveur dans le monde des économistes anglais. Les doctrines de l’école de Manchester dominaient parmi eux et n’étaient pas sans avoir acquis un certain poids aux yeux du Foreign-Office : on cherchait avant tout à favoriser le développement économique et commercial de la métropole ; on ne prisait une colonie qu’en raison des bénéfices que sa possession assurait au commerce ; on ne voulait pas entendre parler d’annexions coloniales qui fussent coûteuses, et on entendait, même pour les colonies anciennes, ne dépenser ni un soldat ni un écu ; c’était l’époque où l’on parlait de laisser à leur libre sort les Antilles anglaises, où l’on discutait l’opportunité d’évacuer les colonies de la côte occidentale d’Afrique, où lord Clarendon refusait pour l’Angleterre de participer à l’établissement d’un condominium à deux, proposé par le gouvernement de Napoléon III, sur Madagascar. Alors qu’on parlait d’abandonner des colonies anciennes, qu’était-il besoin d’annexer d’immenses territoires en Afrique et en Asie ? Les États de Mascate et de Zanzibar avaient une ligne de côtes dispersées sur 4 000 kilomètres d’étendue ; cette frange littorale était peu profonde ; en arrière, était un pays alors à peu près inconnu, considéré comme désertique ou peu productif, habité par les populations les plus indépendantes, les plus belliqueuses, les plus fières de l’Islam. Quelles sources d’ennuis ne pouvait-il pas résulter pour le gouvernement de l’Inde de l’annexion de ces territoires ? Dans quelles complications ne pouvait-on pas être entraîné ? Ne serait-on pas obligé d’intervenir dans les querelles