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les ténèbres. Que le soleil est donc près de nous, au cours des heures grises ! un seul rayon suffit à un grand rêve.


Profondeurs morales. — Ce barbare unique est épris de vérité comme le sable d’eau. En vain, il se détourne de la cité commune ; il ne croit plus à sa mission de bâtir ni de détruire ; il ne se mêle plus de prodiguer les oracles à une société pourrie : — il cherche la vérité pour lui-même. Sa robuste candeur est une force de l’art ; elle tient aussi à l’admirable simplicité que la France lui a apprise : comme il ose à peine donner dans quelques artifices, il finit par ne plus rien imaginer qui ne soit direct à sa méditation intérieure. Pour admirer les dernières œuvres d’Ibsen, il ne faut que les lire en pensant à Ibsen. J’y vois un combat de toutes les heures contre la nuit. Combien cette lutte nous touche ! Ibsen veut s’assurer quelque station prochaine dans l’horrible écoulement de toutes choses. N’est-ce pas atteindre ainsi à la beauté ? — Être beau, c’est être ce qui dure.

Comme le vol du pétrel qui descend dans le labour des vagues, sa pensée abrupte court au fond de ce qu’elle regarde ; elle saisit la vérité, ou s’y précipite, et néglige tout le reste. Ibsen a faim du vrai. Il a beau désespérer : il fait comme s’il pouvait croire encore ; il ne tombe dans l’abîme nul qu’après toute sorte de bonds et de sursauts. Il y est lancé de la plus haute cime. Au cours de ces routes suprêmes, tantôt un mirage de vérité l’éblouit ; tantôt l’ombre proche l’accable ; la vérité le ravit et l’abandonne avec dérision ; de toutes façons, il ne veut contempler qu’elle : à ses yeux, elle n’est que la face pure et claire de la vie.

Les écumeurs de mer ont laissé de leur vigueur au peuple de Norvège. Les Vikings et leur violence ont fait ce sang. Ils l’ont versé sur toute l’Europe ; hardis et cruels, ils ont grandi dans la rapine et la contestation. On doit penser au sort étrange de cette race : ils n’ont commencé d’être chrétiens que dans l’église la plus froide ; seuls, et presque sans avoir été catholiques, ils ont tout d’un coup passé d’Odin à la Bible. Séparés par le sol les uns des autres, pendant des siècles, chacun d’eux s’est formé de l’unique et lent dépôt de son âme sur soi. La neige, les monts, les vents et la nuit des pôles les ont réduits à la prison d’eux-mêmes. Il ne fallait rien moins pour abattre ces violens. Quelle loi pouvait avoir raison de ces natures élémentaires, sinon la contrainte du devoir ? — Pour eux, elle a tou-