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Il est permis d’exprimer quelques doutes à cet égard et, sans revenir sur ce que nous avons dit déjà des évolutions d’escadre, des manœuvres à rangs serrés, nous oserons avancer que tout est trop minutieusement réglé dans notre marine et trop rigoureusement uniforme ; que les ordres, les prescriptions de détail, les tableaux de service, n’y laissent point assez, dans la vie de tous les jours, au libre jugement des capitaines, à leur appréciation attentive et bien informée des facultés particulières de leur bâtiment aussi bien que des qualités individuelles de leurs officiers et de leurs hommes. Et non seulement il faut qu’au même jour et à la même heure, toutes les catégories du personnel de toutes les unités d’une même force navale soient employées ou exercées de la même façon[1], mais encore il faut que les exercices purement militaires soient exécutés conformément à des prescriptions rigoureuses, élaborées sur les bâtimens-des écoles dans un étroit esprit de réglementation et à l’observation desquelles les « officiers de spécialités » veillent avec un soin jaloux.

Pour qu’il en fût autrement, pour que la culture de l’initiative pût être entreprise et porter ses fruits, il faudrait :

Que les commandans d’unités fussent beaucoup plus libres dans la direction de l’instruction générale de leur personnel, instruction dont ils assumeraient par conséquent la pleine et réelle responsabilité vis-à-vis du commandant en chef ;

Que, le plus souvent possible, les escadres fussent disloquées, que les divisions, les unités même en fussent disséminées dans divers ports[2]. Au cours des périodes de rassemblement pour les manœuvres et pour les tirs en marche sur buts mobiles, les commandans de division d’abord, le commandant en chef ensuite auraient tôt fait d’apprécier les résultats des méthodes individuelles d’entraînement et de rectifier les erreurs de direction.

Au demeurant, comme tout concourt à rendre plus pressante la nécessité des réformes dont l’heure est venue, l’égrénement

  1. Il y a pourtant des « blancs » dans les tableaux de service, et, à certaines heures, certains jours, les capitaines ont le droit de déterminer le genre d’exercices qu’ils jugent convenable de faire exécuter. Mais ces blancs sont si étroitement encadrés !
  2. Il ne faudrait point répugner à faire stationner quelques-uns de nos navires de combat, à tour de rôle, dans les ports de commerce. On n’y connaît pas assez la marine de guerre, et un contact plus intime, plus prolongé, ferait disparaitre bien des malentendus.