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prendront plus d’autorité : « Les Anglais seront plus inquiets aujourd’hui, lorsqu’ils sauront le départ de mon escadre de Toulon… Si elle arrive à destination, elle pourra leur faire, aux Grandes Indes, un mal plus considérable, car j’ai des intelligences avec les Mahrattes[1]. »

Mais, pour le succès, le secret est nécessaire. Or, le secret est trahi. Le redoutable et mystérieux personnage qui renseigne à la fois Czartoryski, par d’Antraigues, et M. Hammond, par un autre intermédiaire, a prévenu les Anglais que le véritable objectif des flottes, ce sont les Antilles. « Si la flotte de Toulon peut sortir, elle ira s’unir à Gravina… Si celle de Rochefort peut sortir, elle se réunira à Gravina… Gravina est à Bonaparte d’une manière indissoluble… Elles doivent se porter aux Indes occidentales et attaquer la Jamaïque… Ils iront ravager les Antilles et les rançonner, et finiront par se porter à la Martinique. » Les lettres à Ganteaume, Villeneuve, Lauriston, sont expédiées le 2 mars ; la veille, celui qui s’appelle l’Ami de Paris, informe d’Antraigues et de ces plans et des desseins nouveaux sur le royaume d’Italie[2]. Il ajoute : « L’Angleterre saura dans huit jours le précis de ce que je vous dis là… Dans cette position tout à fait changée, le successeur de La tour (l’intermédiaire de Hammond) n’a rien eu de plus pressé que d’avertir. » Et, dans cette même lettre, où il se montre familier chez Talleyrand, avec qui il travaille, intime avec Durant, l’un des confidens du ministre, il explique comment il continue une correspondance entamée par son père, à Dresde et à Londres : « Bonaparte s’est décidé à la guerre et à un accroissement de puissance qu’il croit devoir le mettre un jour au repos. Le danger est trop grand et le Cabinet joue un jeu à abîmer l’Europe, s’il n’est pas retenu. » C’est pour le retenir, pour rompre « cet infernal système, » qu’il avertit Saint-Pétersbourg et Londres. « Mon père abhorrait Bonaparte, et cet héritage est le mien, et mon père était dans l’opinion du parti, très considérable ici, qui pense que l’Angleterre est surtout nécessaire à la France pour empêcher la tranquillité d’un règne qui, s’il était paisible, effacerait celui de Néron. » On ne le paie pas, on ignore qui il est ; d’ailleurs, M. Hammond ne

  1. A Decrès, 12 avril ; à Cambacérès, 13 avril ; à Decrès, 13 avril, 23 avril ; à Barbé-Marbois, 24 avril ; à Fouché, 30 mai 1805.
  2. L’Ami de Paris à d’Antraigues, 19 février-1er mars. Pingaud. Un agent secret. 2e édition, Appendice.