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de Lunéville ; elles ne parlent que de barrière entre la France et la Hollande, et l’on peut se figurer qu’il ne s’agit, comme en 1713, que d’une barrière de forteresses ; les articles secrets refoulent la France derrière l’Escaut et la Moselle, tout au moins. Les arrière-pensées, qui sont les pensées directrices, vont plus loin.

Mais on n’a garde de le dire, afin de pouvoir insinuer, en équivoquant sur les termes, que les conditions offertes à Napoléon laissent à la France les limites naturelles ; afin, surtout, d’entretenir chez les Français cette illusion, nourrie par les amis de l’Angleterre et les amis de la Russie, flatteuse à l’amour-propre national, insidieuse aux intérêts, au désir de la paix, que les alliés ne combattent que la personne de Napoléon, ne veulent réprimer que ses ambitions personnelles ; qu’ils respectent, sans les définir d’ailleurs, et l’indépendance et l’intégrité de la France. Il en sera des frontières comme du gouvernement intérieur, dont on semble se désintéresser. « C’est, porte l’article Ier secret, par des proclamations publiées à mesure que les événemens de la guerre assureront leurs poids, que les souverains alliés chercheront à la disposer à écouter leurs conseils. » Et voilà par quelles nuances graduées ils arriveront, de l’offre ostensible à Napoléon de la paix dans les limites de Lunéville, au renversement de Napoléon et à la paix dans les anciennes limites. Cette procédure astucieuse, destinée à séparer la cause de Napoléon de celle du peuple français et à dépopulariser la guerre, se reproduira en 1813 et en 1814 ; elle se dévoile ici, tout crûment, dans les articles secrets du 11 avril 1805.

Les alliés trouveront leurs convenances où ils pourront les prendre. Ils posent en principe, — et ils en reconnaissent « la justice et l’avantage, » — une restauration générale des princes dépossédés, mais ils n’appliqueront ce principe « qu’autant que les circonstances et la sécurité future des différens États de l’Europe le permettront. » Dès à présent, l’Angleterre s’attribue Malte ; l’Autriche sera indemnisée « de ses immenses pertes, » dans le nord de l’Italie et à Salzbourg ; la Prusse pourrait obtenir Fulda et, s’il le fallait absolument et si l’Angleterre y consentait, le royaume de Hollande. La Russie se réservait de chercher ses satisfactions dans la Pologne, dont le tsar se ferait roi, et dans la Turquie, où il se taillerait un empire, avec un protectorat des Slaves d’Orient. Il se flattait de conquérir assez de terres en Italie et en Allemagne pour compenser les terres polonaises qu’il