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en attendant qu’elle donnât l’occasion de l’entamer du dehors. « L’expérience de plus d’un siècle, écrivait Kaunitz, qui fit éprouver souvent à toute l’Europe la prépondérance que la situation physique et les ressources infinies de la France procuraient à ce royaume dans la balance générale sous le gouvernement d’un monarque absolu, a convaincu spécialement l’Autriche que rien n’était plus compatible avec la sûreté de ses propres États qu’un relâchement et une complication des ressorts internes de cette formidable monarchie, qui détourneraient à l’avenir son énergie des entreprises étrangères. »

Au lieu d’Autriche, lisez Europe, l’Angleterre y comprise, bien entendu, et, au cœur même de la ligue, vous connaîtrez l’esprit de toutes les coalitions, le lien qui les relie, depuis celle qui, du temps de François Ier, projetait déjà de refouler la France dans ses « anciennes limites, » jusqu’à celle qui l’y refoula en 1815 et ferma le cycle, soudant la maille rompue au point où, en 1792, les premiers coalisés auraient voulu la forger : la monarchie constitutionnelle, les limites de 1790 et la barrière des Pays-Bas.

La coalition de 1805 marque à peu près le milieu de cette histoire de vingt-trois années, 1792-1815. A saisir alors les affaires, au passage et dans le plein de leur croissance, on en discerne la direction et l’écoulement. Lunéville et Amiens se détruisent par les mêmes mouvemens qui les ont amenés : l’Europe, parce qu’elle ne veut, la France, parce qu’elle ne peut pas s’y tenir. Pour les imposer, il a fallu occuper l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, la Hollande, et, pour les conserver, il faut dominer ces pays, sans quoi les alliés s’y installent et, de là, mènent leurs parallèles et leurs approches sur la place conquise en 1801 et en 1802. Il faut donc suivre cette guerre de mines entre les alliés qui voulaient toujours refouler la France au-delà des limites qu’ils lui avaient reconnues, 1795, 1797, 1801 ; et la France, amenée sans cesse à pousser ses têtes de pont, ses avancées, ses forts détachés au-delà de ces mêmes limites, si elle voulait les défendre contre la marée contraire dont le flux, incessamment, les venait battre. Tout dépendit toujours, du commencement à la fin, de 1792 à 1815, d’un accident, du génie d’un homme, de la ténacité d’une armée et d’une journée de bataille.