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douze cents ans, et qui font une trentaine de générations. Ces familles sont justement celles dont les historiens et les chroniqueurs, en tout temps, se sont particulièrement occupés, si même on ne doit dire que l’histoire n’a longtemps été que la chronique de leurs faits et gestes. Les filiations y sont, en général, aussi certaines qu’elles le puissent être parmi les hommes, et, par exemple, de Robert le Fort au Comte de Chambord, — 852-1820, — je doute qu’on trouvât deux reines suspectes d’avoir troublé la pureté du sang de France. Reines ou rois, d’ailleurs, leur vie nous est connue dans ses moindres détails, depuis leur première enfance, et nous savons d’eux tout ce qu’on en peut savoir, les maladies et les remèdes, les infirmités et les tares, les goûts et les manies, les singularités, les passions et le régime. Quoi de plus naturel, en ces conditions, que d’étudier, dans l’histoire d’une race royale, la plupart des problèmes que soulève l’hérédité ? Si certains caractères sont « transmissibles, » et si d’autres ne le sont pas ; s’il y a des degrés dans la transmissibilité ; si elle est indéfinie ou limitée dans le temps ; s’ils se transmettent indépendamment les uns des autres, ou s’ils s’associent et s’ils s’accompagnent ; s’il suffit qu’ils soient « transmissibles » pour être effectivement et toujours « transmis ; » « quelle est la part des parens et des ancêtres dans le caractère du produit, » — les termes dont je me sers ici ne sont pas de moi, mais de M. Delage, dans son beau livre sur l’hérédité et les grands problèmes de la Biologie générale[1] — n’avons-nous pas là, dans l’histoire authentique et détaillée de vingt-cinq ou trente générations, le moyen de le savoir ? et, en tout cas, pourquoi n’en tenterions-nous pas l’entreprise ?

C’est évidemment ce que s’était proposé Auguste Brachet, dans l’ouvrage auquel il a donné pour sous-titre : Louis XI et ses ascendans ; Une vie humaine étudiée à travers six siècles d’hérédité, et pour titre : Pathologie mentale des rois de France[2]. Mais il avait à peine commencé d’en assembler les matériaux qu’il a perdu de vue son dessein principal, et l’ambition lui est venue de fonder, sous le nom de pathologie historique, une « science nouvelle. » « La Pathologie historique, — c’est la définition que Brachet lui-même a donnée de son invention, — est proprement l’explication, par la science biologique, des données que nous fournissent les textes historiques, données réunies et contrôlées suivant les règles de la critique historique, dans le double but de servir, tantôt à la science médicale, tantôt à

  1. Schleicher, éditeur, 2e édition, 1903.
  2. Hachette, éditeur, 1903.