Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était enfin toute une refonte de nos mœurs publiques. Malheureusement il n’y a rien de plus tenace, de plus persistant, de plus irréductible que les mœurs invétérées des partis. La politique du Pape est venue se heurter à des résistances de droite et de gauche. À droite, sa parole n’a pas convaincu tout le monde : beaucoup de catholiques, absolument soumis dans le domaine de la foi, ont conservé la plénitude de leur indépendance dans celui de la politique, ce qui était d’ailleurs leur droit incontestable. Ils ont continué, en tant que citoyens, la lutte qu’ils avaient engagée contre les institutions elles-mêmes. Ils sont descendus, comme auparavant, dans l’arène électorale, et, s’ils se sont appliqués à lever un peu moins haut leur drapeau, ils ont attaqué celui de leurs adversaires avec une violence qui ne s’est pas ralentie. Il faut convenir, à leur décharge, que les griefs ne leur manquaient pas contre un gouvernement de plus en plus sectaire. Voilà ce qu’ont fait beaucoup d’entre eux. Quant aux autres, ils sont allés à la République : mais ils y ont été fort mal accueillis. Non seulement on n’a rien fait pour les attirer, mais on a tout fait pour les repousser, comme si la République était la propriété des premiers occupans, et s’il y avait impudence à venir tardivement y prendre sa place et demander sa part d’influence. On ne peut donc pas dire qu’à ce double point de vue, la politique du Saint-Père ait réussi ; mais cela ne signifie pas qu’elle soit condamnée à un échec irrémédiable. La durée d’une génération est peu de chose, dans la vie d’un peuple, et chaque génération emporte avec elle les préjugés et les passions au milieu desquels elle a vécu. Léon XIII est venu trop tard ou trop tôt. La politique qu’il a inaugurée ne pouvait produire tous ses effets qu’après lui : Il ne faut pour cela qu’y persévérer.

Cette politique a été partout bienveillante, prudente, conciliante, et pourtant ferme lorsqu’il a fallu. Si les bornes étroites de cette chronique nous le permettaient, nous aimerions à en suivre et à en montrer les applications dans les diverses parties du monde : en Orient, où Léon XIII a fait tant d’efforts pour ramener à l’unité les églises schismatiques, et où il a maintenu autant qu’il l’a pu, ainsi d’ailleurs qu’en Extrême-Orient, les traditions de notre protectorat catholique ; en Allemagne, où, sans porter atteinte à la solide constitution du parti catholique, il l’a rendu plus enclin et plus souple aux transactions et a fini par en faire un parti gouvernemental ; en Amérique, où il s’est si bien accommodé des principes de la plus large liberté qui soit au monde et de la démocratie illimitée, tout en imposant certaines réserves à des hardiesses qui pouvaient devenir inquiétantes pour